Léa était à bout de forces. La chaleur, la faim, la soif, la douleur, la fatigue l’attaquaient sur tous les fronts. Elle n’avait plus les armes pour lutter. Elle passa un nouveau virage et aperçut une villa au bout de la route. Elle s’arrêta un instant, essaya de rassembler ses esprits mais son esprit était vide. Elle agit à l’instinct. Elle sortit de la route, grimpa sur la butte et se rapprocha de la maison en passant de buissons en buissons. Un gros rocher faisait face à la maison. Elle se cacha derrière et attendit. Elle entendit des cris d’enfants. Elle se mit à plat ventre et rampa à côté du rocher pour voir sans se faire voir. Il y avait une petite fille de 10 ans et son petit frère. Ils couraient autour d’une piscine. Ils se firent rappeler à l’ordre par leur mère qui leur demandait de se calmer. Un homme sortit. Les 2 enfants se précipitèrent vers lui pour l’embrasser. Léa eut un sanglot irrépressible. C’était la première situation normale à laquelle elle assistait depuis 2 mois. La famille se mit à table pour prendre son petit déjeuner. Léa voyait le broc de jus d’orange, la cafetière fumante et les pancakes ruisselant de miel. Jamais elle n’avait eu aussi faim et aussi soif.
« Je vais y aller ». Pensa-t-elle, et je vais tout leur expliquer. Ils m’aideront, j’en suis sûre. Elle se ravisa. « Je ne peux pas ». Je risque de les contaminer. Léa se pencha pour observer les mouvements de la famille. L’homme sortit de son garage avec une grosse berline. La femme le suivit avec un 4/4. Elle sortit de la voiture, grimpa quelques marches et disparut.
« C’est le moment ! » Se dit Léa. Elle se releva difficilement, dérapa sur le talus, traversa la route en trottinant, se glissa derrière la voiture et entra en catimini dans le garage. La femme revint avec ses enfants. Cachée derrière la porte, Léa entendait leurs rires. Elle eut un pincement au cœur en pensant à ses propres frères. Elle se demanda si elle les reverrait un jour. La porte du garage se referma. Léa entendit la voiture démarrer. Elle inspecta rapidement le garage et s’avança vers une porte qui devait conduire à l’intérieur de la maison. Elle y colla l’oreille.
« Et s’il y avait encore quelqu’un ? » Pensa-t-elle. Pas un bruit. Elle poussa la porte et s’avança dans un vestibule ou étaient alignée des vêtements et des chaussures dans un dressing. Elle s’approcha d’une seconde porte, tendit à nouveau l’oreille, l’ouvrit doucement et jeta un coup d’œil à l’intérieur de la pièce. Personne. Elle s’avança à pas de loup. Le salon était inondé de lumière par de larges baies vitrées. Quelques objets modernes le meublaient : un canapé en U placé devant une cheminée, une table et 4 chaises, quelques bibelots contemporains, un escalier en fer qui menait à l’étage. Léa se dirigea vers le coin cuisine à l’autre bout de la pièce. Un grognement la fit sursauter. Elle se retourna brusquement. Un bas rouge sortît de nulle part lui faisait face. Il montrait les dents. Une peur panique s’empara de Léa. Ses jambes ne répondaient plus. Elle chercha une issue. Il n’y en avait pas. Le chien aboya, menaçant. Il était à moins de 2 mètres d’elle, prêt à bondir. Léa se tendit tout entière pour courir jusqu’à la table du salon. Le chien, surpris, eut un temps de retard avant de se lancer à sa poursuite. Léa contourna la table. Le chien rata son virage et glissa sur le carrelage. Léa attrapa un tabouret de bar. Le chien s’élança sur elle. Elle le frappa de toutes ses forces. Le chien bascula sur le côté en poussant un cri de douleur. Il se remit sur ses pattes et replongea sur Léa qui perdit l’équilibre et tomba à la renverse. Léa maintenait le chien à distance avec le tabouret. Elle voyait sa gueule se rapprocher de son visage. Sa mâchoire claquait dans le vide. Léa pouvait sentir son haleine putride.
- Va-t-en ! Cria-t-elle avec toute l’énergie du désespoir. Le chien s’acharnait. Il essayait de passer par la droite, réessayait par la gauche. Il fit un saut en arrière pour attaquer sous un autre angle. Léa lui asséna un coup dans le ventre. Le chien gémit et recula. Léa en profita pour se relever et courir jusqu’à la porte du vestibule. Le chien se lança à ces trousses. Léa lui claqua la porte sur le museau. Elle tremblait de tous ses membres. Le chien continuait, à gratter à la porte, à grogner, à aboyer encore et encore. Léa ne supportait plus ces aboiements stridents. Elle se boucha les oreilles et se mit à hurler pour les couvrir. Petit à petit, les aboiements furent plus espacés puis s’arrêtèrent. Léa attendit. Le chien semblait être parti. Elle ouvrit la porte prudemment. Elle était bloquée. Elle dût la pousser pour l’entrebâiller. Le chien était couché sur le flanc, la gueule ouverte, mort. Le virus l’avait tué. Elle s’agenouilla près de la bête et lui caressa la tête.
« Comment est-ce possible ? » Se demanda-t-elle. Aucune réponse ne lui vint à l’esprit. Sa conscience était uniquement éveillée par la faim, la soif et la douleur. Elle se dirigea vers le coin cuisine, ouvrit le frigo qui regorgeait de nourriture : fromages, fruits, viande… Elle posa le tout à même le sol, s’assit au pied du frigo, déchira les emballages et se fit des sandwiches qu’elle mangea avec avidité. D’un trait, elle but une première bouteille de lait qu’elle renversa à moitié sur sa combinaison. Sa gorge était si desséchée qu’elle vida une deuxième bouteille. Elle resta là, un moment, hébétée, les yeux dans le vide, l’esprit figé. Elle n’avait plus envie de rien, la force de rien. Ses brûlures aux pieds la sortirent de sa torpeur. Son corps était engourdi et c’est au ralenti qu’elle retira ses bottes. Ses pieds étaient violets, boursoufflés, ensanglantés. Elle bascula sur le côté, laissa tout en plan et marcha à quatre pattes jusqu’à l’escalier. Elle se redressa en s’appuyant sur la rampe et monta à l’étage. Chaque marche la faisait grimacer de douleur. Elle entra dans la chambre des adultes. Un lit qui trônait au milieu de la pièce et 2 portes qui donnaient sur des salles de bains individuelles équipées de dressing. Léa fit glisser sa combinaison et se mit sous la douche et laissa longtemps couler l’eau. Il n’y avait plus que l’eau et elle. Le reste n’avait plus d’importance. La tiédeur de l’eau finit par l’anesthésier. Elle n’avait qu’une envie : dormir. Elle se laissa tomber sur le lit et se recroquevilla dans les draps en soie. « Une petite heure. » Se promit-elle, « Une petite heure et je repartirai. » Elle ferma les yeux et s’endormit profondément.
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