Chapitre 11

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Les trois jours de couvre-feu n'avaient pas suffi à éradiquer l'épidémie. Les directives imposées à la hâte par le gouvernement n'avaient pas été respectées. La crainte de la pénurie des produits de premières nécessités avait poussé la population à se précipiter dans les centres commerciaux. La peur, les informations contradictoires, les rumeurs, avaient entraîné l'exode de nombreux habitants des zones urbaines vers la campagne. Des bandes de pillards en avaient profité pour dévaliser des magasins. L'incapacité des autorités à assurer la sécurité avait provoqué des émeutes. Tous ces mouvements de foule avaient permis à la maladie de se propager. Des foyers d'infection s'étaient multipliés dans tout le pays. Les morts se comptaient par centaines de milliers. Le pays était au bord du chaos. Les interventions quotidiennes du Président n'avaient pas été suffisantes pour rassurer et rétablir l'ordre. Face à l'aggravation de la situation, les autorités avaient décidé, pour renforcer le dispositif de sécurité, de faire appel aux forces de police et la consigne avait été donnée de tirer à balles réelles sur toutes les personnes qui enfreindraient les nouvelles lois. Beaucoup s'y risquèrent et beaucoup y laissèrent la vie. Les rédactions de tous les médias suivaient minute par minute l'évolution de la situation dans le pays. Les reportages montraient l'extrême gravité de la pandémie. Les mêmes messages tournaient en boucle : Ne sortez pas de chez vous - Portez des masques et des gants de protection - Lavez-vous les mains fréquemment - Sachez garder vos distances - appelez le 911 pour signaler un cas suspect. Les messages s'imposèrent petit à petit. Les portes se fermèrent et derrière elles, la population attendait fébrilement les nouvelles consignes. Bientôt, les rues se vidèrent complètement. Seuls les militaires en combinaison d'argent circulaient dans la ville. Seuls les camions de ravitaillement et les sirènes rompaient le silence qui s'était imposé. On attendait que la mort passe. L'attente dura un mois. Le Président intervint une nouvelle fois et autorisa le peuple américain à reprendre ses activités. Les déplacements devaient restés limités et les masques et les gants obligatoires. Les frontières restaient fermées. La vie reprit. Une vie empreinte de crainte et d'incertitude sur l'avenir.
A la fenêtre de son bureau, le Président Johns regardait son chien jouer dans la roseraie. Les quatre dernières semaines avaient été les plus difficiles de son mandat. Avait-il été à la hauteur de la situation ? Avait-il toujours pris les bonnes décisions ? Etait-il celui qui avait évité à l'Amérique de sombrer dans le chaos ou celui qui avait fait tirer sur son propre peuple ? On frappa à la porte. Il referma le livre de ses pensées. Le professeur Eakins entra. Le Président le convia à s'asseoir et entra directement dans le vif du sujet.
- Professeur, pensez-vous que cette crise soit terminée ?
- Non, monsieur le Président. Je pense au contraire que nous en sommes qu'au début. Un virus mortel a frappé l'Amérique. En prenant des mesures exceptionnelles, nous avons réussi à le contenir. Mais nous n'en savons pas plus. Nos meilleurs experts travaillent dessus depuis plus d'un mois sans le moindre résultat. Autrement dit, tout peut recommencer demain, de la même façon. Le virus est toujours présent quelque part et peut frapper à nouveau n' importe où, n'importe quand.
- N'importe où, n'importe quand. Reprit le président songeur.
- Monsieur le Président. La situation semble sous contrôle chez nous. C'est loin d'être le cas dans tous les pays. L'Europe est sous contrôle mais ce n'est le cas de la Chine, de Indonésie, de l'Inde et encore moins en Afrique où le nombre de victimes se comptent déjà en centaines de milliers. Nos dernières projections sont alarmantes.
Le Président se leva et retourna à la fenêtre :
- Que recommandez-vous ?
- J'ai proposé à vos services un plan en 3 volets : 1) Faire de la lutte contre ce virus une grande cause mondiale. Les labos de tout le pays doivent coopérer immédiatement pour trouver une parade face à ce virus. 2) Renforcer le contrôle à nos frontières. Nous devons faire de l'Amérique une forteresse imprenable et contraindre chaque personne voulant entrer sur notre territoire à accepter une période d'observation de 72 heures. 3) Former au plus vite des équipes spécialisées et les envoyer en renfort dans les pays qui n'ont pas les moyens de s'organiser. La principale menace vient de l'extérieur. Je rajouterai que toutes les autres mesures que nous avons prises doivent être maintenues jusqu'à nouvel ordre : port des masques et des gants, dénonciation des cas suspects...
Le Président le coupa :
- Quelles sont les derniers chiffres ?
Le professeur Eakins sortit une tablette numérique d'une sacoche.
- 847 456 victimes sur le territoire des États-Unis et 625 000 dans le reste du monde mais comme je vous le disais, la situation en Afrique est catastrophique. On compterait au seul Nigéria plus de 30 000 victimes et rien n'est fait pour endiguer l'épidémie. A ce rythme, on estime que ce sont des millions de personnes qui pourraient être contaminés dans les jours à venir. La maladie touche déjà le Togo et le Bénin. Les habitants de Lagos cherchent à quitter la ville par milliers. Monsieur le Président, l'Amérique est pour l'instant un îlot protégé mais elle ne pourra pas le rester longtemps si nous ne prenons pas les mesures nécessaires. Nous avons réussi à résister à cette première vague d'épidémie. Je ne suis pas sûr que nous soyons capables de résister à une seconde.
Le Président tapa au carreau pour faire venir son chien. Pourquoi fallait-il qu'un seul homme prenne une décision aussi lourde ? C'était absurde. Il se retourna et vit dans le regard d'Eakins qu'il ne pouvait pas échapper à ses responsabilités.
- C'est bien compris. Je vais prendre des décisions qui s'imposent. Merci, professeur Eakins.

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