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Je tousse du sang alors qu'une infirmière place une bassine sous mon visage. 

- Ne vous inquietez pas, vous êtes à l'hopitâl, madame. Je suis infirmière, on va bien s'occuper de vous ! 

Ça tombe bien, moi aussi - enfin presque, techniquement. C'est ma troisième année d'études d'infirmières, et si tout va bien, je validerais mon diplôme dans quelques mois pour enfin faire le métier que je rêve d'exercer depuis mes onze ans ; quoique, avec ce qui vient de se passer et l'issue tragique qui arrive, ça sera certainement un peu compromis. Elle sur-élève ma tête, prend ma tension, vérifie si je respire et le médecin appuie sur ma plaie à l'abdomen pour contenir l'hémorragie. Le hurlement qui suit me déchire les cordes vocales, j'ai l'impression qu'on m'a lacérée de l'intérieur. Ça s'annonce très très mal. Le sang jailli entre ses doigts, comme si une force inconnue le poussait à sortir de mon corps et je ferme à nouveau les yeux. Ça va arriver, ça devait arriver de toute façon. J'inspire à fond, presque apaisée sachant ce qui va arriver dans les prochaines minutes : je vais mourir.

- On lui passe deux culots de A positif, une dose d'adrénaline et du potassium. 

L'hémoglobine que je viens de tousser dévale sur mon menton, teinte ma peau et je rouvre les yeux pour tomber nez à nez avec quelqu'un que je connais très bien : Adèle, l'infirmière en chef du service des urgences, où j'ai travaillé pendant un mois pour un stage. 

- Silene ? s'exclame t-elle.

- Vous vous connaissez ? demande l'autre infirmière en rattachant ma perfusion à mon cathéter. 

- Silene Osborn, vingt-et-un an, antécédent d'embolie pulmonaire, débite Adele. 

Les lèvres rougies par le sang, je souris vaguement en voyant son visage flou. Mais Adele m'a reconnu, elle est ma tête quand je ne peux pas l'être, elle est mon roc quand je ne peux plus m'accrocher à cette vie, et je sais que ça va aller si elle est là. Je n'aurais jamais cru être aussi contente de la voir un jour... Sa main saisit la mienne, et son visage entre dans mon champ de vision, inquiet.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? 

L'ambulancière à côté répète les mots qu'elle a dit dès que je suis arrivée aux urgences sur un brancard filant à toute vitesse : " elle s'est prise un coup de couteau dans l'abdomen ", mais l'infirmière ne l'écoute presque pas, caressant mon visage couvert de sueur. Je suis incapable de parler, de toute façon, il faudrait mieux qu'elle écoute la dame.

- On va t'emmener en chirurgie, d'accord ? 

J'agrippe sa main. 

- Je ne veux pas mourir. 

Ah, je peux parler, finalement. Je ne veux pas mourrir ? Si... Si. Je veux mourrir. Mais... Pas comme ça et pas maintenant, pas avec cette peur qui m'enserre la gorge.

- Tu ne va pas mourir. 

- Dis moi si c'est grave, je murmure. 

- C'est grave, dit-elle sans me cacher une vérité que je connais déjà. Mais tu sais qu'on va tout faire pour que tu t'en sortes. 

Le brancard repart avant que j'aie eu le temps de dire quoi que ce soit, on prend l'ascenseur avec les médecins qui essayent de contenir l'hémorragie avec un pansement compressif. Parmi le brouhaha, j'entends le sang goutter sur le sol. Ploc. Ploc. Ploc. Mon liquide vital s'écoule doucement, ma vie file entre les mailles du bandages, je n'arrive pas à croire que c'est réel et que ça arrive comme ça. Je me suis fait poignarder dans un musée pour sauver la vie de quelqu'un, et j'ai un pied dans la tombe. Même si me jeter devant l'homme pour qui ce coup de couteau était destiné était un choix délibéré, je ne veux pas mourir. Je veux vivre. Il faut que je vive. J'ai encore trop de choses à faire, à vivre, à entendre, à expérimenter. Il me reste trop de choses ici pour passer dans l'autre monde. Le balancier régulier est rompu lorsque les portes s'ouvrent, et après une succession de couloirs, j'ai une violente douleur au coeur ; le moniteur s'emballe d'un seul coup à grands coup de " bip bip bip " alors qu'on rentre dans le bloc opératoire glacial. 

LE PLOMB DANS L'ÂMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant