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REN 


- Tu va retourner en Ukraine ? demande Misha. 

Je pose ma carte sur la table, ma cigarette au bout des lèvres, et observe la mise en jeu avant de croiser les bras. Il se couche, à ma droite, et je hausse les épaules.

- Pas pour l'instant. 

- Dommage, murmure Piotr en posant mon cigare.

Il me fait un clin d'oeil et je souris. Mon père et celui de Piotr se connaissaient, comme beaucoup de familles d'Europe de l'Est à Albuquerque : on forme une espèce de petite communauté dans les quartiers est de la ville. Misha voulait revoir quelques amis à lui et à Aleksandr, donc on a décidé d'aller passer l'après-midi avec eux. Je m'attendais à cette question qu'on se pose tout le temps, mais je n'ai pas prévu de retourner dans mon pays d'origine, pas pour l'instant du moins. Pas sans elle. Je sais que je devrais pas l'emmener là-bas, mais je n'irais pas sans elle. Je ne pourrais jamais remettre les pieds sur ma terre natale sans celle qui me permettra de le faire. 

- Tu as changé, gamin. 

Je souris ironiquement en faisant tomber les cendres dans le cendrier.

- Le temps vient à bout de tout, y compris de nous, je récite.

Piotr éclate de rire en doublant la mise et je révèle mes cartes ; deux as et deux reines. Soupirs frustrés de Dimitri, celui qui m'a vendu les armes il y a quelques mois de cela, de Piotr et de Teodor. Misha redistribue les cartes et j'expire la fumée de la cigarette lentement en écoutant Dimitri se plaindre que les mexicains ont pris le monopole de la vente d'armes à Albuquerque. 

- De toute façon la mafia nous bouffe toutes nos recettes, grogne Teodor. 

- C'est Frederico le problème dans ce buisness. Il fait chier tout le monde, il faudrait le buter, je souffle. 

Dimitri lève son verre. 

- Pour une fois, je suis d'accord avec toi, l'Ukrainien. 

- La pute blonde en talons est toujours dans le coup ? demande Piotr. 

Je souris en observant Misha se tendre à l'évocation du personnage d'Alina.

- Bien sûr que oui. 

Et je le saurais si ce n'était pas le cas. La chaleur commence à se faire ressentir dans la pièce moquettée de la maison de Dimitri, et j'écrase ma cigarette dans le cendrier avant de prendre mon petit tat de cartes et de commencer à réfléchir selon la mise. 

- Tu l'a tuée, au fait ? 

- Qui ? je questionne en piochant. 

C'est un valet de carreau et je m'empêche de sourire comme si c'était une question de vie ou de mort. 

- Vasha druzhyna. 

Autrement dit, ta femme. Cette fois, je relève le nez et je souris à Piotr. 

- C'était pas ma femme, et la réponse est non. 

Il parle du jour où je lui avais demandé si il avait déjà tué une femme qu'il aimait, quand on attendait la cargaison de Dimitri, et je suis surpris qu'il s'en souvienne. C'était lors de ma fuite, il y a presque six mois. Dont cinq se sont écoulés sans que je sois dans ce millieu pourri jusqu'à l'os. Cinq mois déjà qu'elle m'a pris ma place. Qu'elle m'a arraché tout ce que j'avais. De colère rien qu'à y repenser, je double la mise sur la table, repioche une carte et Teodor se couche quand Misha rajoute des jetons. Je pioche à nouveau une carte. La chance me sourit aujourd'hui, et j'y vois un signe très clair : continue à jouer, continue à miser, continue ce que tu es en train de faire. C'est un bon signe du destin : aujourd'hui, j'irais au bout. Aujourd'hui signera un tournant dans mon histoire. Aujourd'hui, je cesse d'être un cavalier qui protège la reine. 

LE PLOMB DANS L'ÂMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant