J'essuie mes larmes d'un geste rageur.
Je m'étais promise de ne pas pleurer, mais voilà ; le stress, les nerfs, la fatigue, et un peu trop de café pour effacer ces nuits sans sommeil m'ont mis à mal. Devant moi se dresse le grand bâtiment et mon coeur fait un bond à chaque fois que je le regarde. J'essuie mes yeux. Ma peur s'en va hurler au fond de mon âme, je remet du mascara sur mes cils et inspire un grand coup avant de descendre de ma voiture et de traverser la rue. Deux agents de sécurité m'ouvrent les grandes portes en vitrées sous un regard suspicieux, mais ce n'est pas dans un palace que je rentre, c'est dans le palais de justice d'Albuquerque. Le grand, très officiel, terrifiant palais de justice. Je vois mon avocate m'attend, au téléphone dans le hall, et elle raccroche dès qu'elle me voit alors que je m'avance vers elle.
- Bonjour, dit-elle avec un petit sourire en me tendant la main.
Je serre sa paume avec un hochement de tête, les mâchoires serrées tellement fort que ça m'en fait mal. Elle tient mon dossier dans les bras et son regard bienveillant me fait reprendre confiance.
- Vous êtes stressée ?
La question me fait sourire nerveusement.
- Oui, un peu.
C'est une dame très gentille qui a la cinquantaine, de longs cheveux blonds vénitiens, très élégante. Elle me rassure en me disant qu'il n'y a pas de raison que ça se passe mal pour moi et que c'est son travail, qu'elle va faire tout son possible pour que ça aille bien, que c'est seulement un moment difficile à passer. Puis elle pose sa main sur mon bras.
- Ça fait combien de temps que vous ne vous êtes pas vus ?
Je déglutis.
- Presque trois ans.
On attend dans le hall que l'heure de l'audience arrive, je fais les cents pas en patientant dans mon tailleur-pantalon gris et mes escarpins vernis noirs. C'est long, très long, mon pouls bat dans mes veines comme un marteau-piqueur et je me demande si je vais arriver à tenir. Mais il le faut. Puis à neuf heures pétantes, les portes de la salle s'ouvrent ; nous sommes les premières à y rentrer. Puis il y a quelques personnes qui vont s'installer sur les bancs du fond, et je reconnais des gens qui étaient à l'enterrement d'Alina, mais il y a aussi des inconnus. La famille d'Alina s'installe sur le banc des parties civiles, ainsi que d'autres personnes avec elle. Nous sommes assises pas très loin du devant de la salle, à un bureau où mon avocate pose le dossier, de l'eau, d'autres papiers et son téléphone. Un long moment passe. Je sens des regards sur moi comme si j'étais celle qui était responsable de tout ça, j'entend les conversations, je me demande comment j'ai fait pour en arriver là.
Je me demande ce que je fais là.
Comment est-ce que je suis passée d'une fille en deuil à ce que je suis aujourd'hui, acculée dans un tribunal ? Je me demande si ça va vraiment aller. Mais plus le temps passe et plus j'ai un mauvais pressentiment, et bientôt je n'ai plus l'occasion de penser à quoi que ce soit : d'une petite porte sur le côté sortent les jurés, les assesseurs et le juge principal, tous en habit caractéristique. Ils s'installent dans leur tribune, et un grand silence envahit la salle.
- Bonjours à toutes et à tous. Messieurs les officiers de police nationale, veuillez faire entrer l'accusé.
Les gigantesques portes en bois du fond s'ouvrent en un grincement qui racle sur mes entrailles. Il y a des murmures, de l'agitation, mais je reste concentrée sur ce que j'ai devant moi. Je me raccroche à ce que je peut. Et je finis par tourner la tête, irrévocablement. Les larmes sortent, pratiquement immédiates, et je met une main sur ma bouche pour contenir un cri de douleur né au plus profond de moi. Ren est habillé d'une chemise blanche et d'un pantalon noir, bien coiffé et les menottes aux mains. Il est marqué de visage par ces quatre derniers mois passés en détention provisoire, ses cernes sont bleutées, il a l'air... Il a l'air différent. Et c'est un supplice de le voir comme ça.
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LE PLOMB DANS L'ÂME
RomanceQuand elle prend un coup de couteau pour un inconnu, l'existence de Silene bascule. Mais cet homme étrange l'intrigue et l'entraîne dans sa noirceur. Alors, qui est l'ange gardien de qui ?