3.

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 Il y a un petit silence gênant, durant quelques secondes et rien de mieux pour y remédier qu'un peu d'humour, alors je prends l'initiative d'ouvrir la bouche.  

- Alors, Ren, on essaye souvent de vous tuer comme ça ? 

Je m'attendais à tout, sauf à la réaction qu'il a. Il penche la tête sur le côté, étudiant minutieusement mon visage jusqu'à déclarer : 

- Vous m'avez donné votre vie à l'aveugle. 

- Techniquement, pas à l'aveugle, j'ai encore mes deux yeux. Enfin je crois. 

Je touche mes globes oculaires pour détendre l'atmosphère et tenter de briser la glace, mais il n'est absolument pas réceptif à ma plaisanterie, ce qui alourdit encore plus l'ambiance.

- Vous m'avez donné votre vie à l'aveugle, répète t-il. 

Je réalise avec ces mots qu'il y a quelques jours, j'étais vraiment inconsciente, voire insensée. On ne saute pas devant un inconnu pour lui éviter un coup de couteau si on est pas un minimum suicidaire ou fou. Ce n'est pas quelque chose que les gens font, peu importe leur bonté d'âme. Moi, j'avais choisi la mort, mais finalement ce choix n'était pas le bon et il a fallu que je regarde la grande faucheuse en face pour m'apercevoir que mon seul souhait était de vivre. D'un autre côté, peut-être que j'avais aussi besoin que ça arrive pour m'en rendre compte.

- Je suis infirmière, je souris. On prend soin des gens, on les soign...

- Vous vous êtes fait poignarder à ma place alors que vous ne savez même pas qui je suis, me coupe t-il. 

Je fixe mes chaussettes presque comme une môme qu'on engeule, mal à l'aise. Je ne comprends pas du tout sa réaction ; je suppose que les gens normaux remercient ceux qui leur sauvent la vie, non ? Ils ne sont pas supposés remettre en question les choix de leur sauveurs - non pas que je veuille de la reconnaissance, mais tout ceci est un peu bizzare. Il est bizzare.

- Le principal c'est que tout le monde aille bien, non ? 

Il clos les paupières, renverse la tête en arrière et je reste là à le regarder, plantée devant le comptoir, sans trop savoir quoi faire. Manquerait plus que j'ai essuyé cette tentative de meurtre pour un fou, un suicidaire ou un violeur, tiens, ça me ferait une belle jambe... Et ce serait un gigantesque pied de nez de la part du destin, sans mauvais jeu de mots.

- À chaque fois que je ferme les yeux, je vous revois vous vider de votre sang. 

- C'est vrai qu'à y repenser, j'aurais préféré vider mon compte bancaire... 

Un ange passe après cette nouvelle tentative d'humour et j'abandonne vite l'idée de le faire sourire ou même de repousser le malaise qu'il y a. Il rouvre les yeux, reprenant doucement contact avec la réalité. 

- Et si j'étais quelqu'un qui ne méritait pas de vivre ? Vous avez réfléchi à ça avant de vous mettre devant moi ? 

- Vous pensez que j'en ai eu le temps ? je ris. 

Il se tait, les yeux rivés sur mon visage. 

- Qui que vous soyez, ce n'est pas à moi de décider si vous devez vivre ou non, si vous le méritez ou non, si vous devez aller en prison ou non. 

- Alors vous m'avez donné votre vie, souffle t-il, parce que vous pensez que tout le monde doit vivre ? 

Je déglutis. Peut-être qu'il est maintenant en pleine crise existentielle - et je veux dire, ça ne me dérange pas, c'est aussi mon cas maintenant après cet évènement. Ça l'a sûrement bouleversé de passer aussi près de la mort et de voir une inconnue se sacrifier pour lui sans le connaître, je comprends totalement que c'est un choc, que ça remet beaucoup de choses en question, et je suis moi-même passée par là.

LE PLOMB DANS L'ÂMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant