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REN


Je tire sur ma cigarette. 

- C'est une femme qui te met dans cet état ? 

Je ricane. La question est bien ironique et je fixe la ville devant moi, mes pieds se balançant dans le vide, sachant très bien que je ne peux pas éviter la question.

- En effet. 

- Allez, gamin, te prends pas la tête.

Je déglutis en fixant les immeubles en contrebas : je pourrais le faire. Je pourrais vraiment le faire, me pencher juste assez pour briser mon point d'équilibre, tomber infiniment vers le bas jusqu'à heurter le goudron. Perdre la conscience, si elle n'est pas déjà perdue. Perdre la vie, si elle n'est pas déjà perdue. Mourir, si ce n'est pas déjà fait. Mais je ne le fais pas. Je reste là, je reste sage, je reste en sécurité. Comme elle me l'a demandé.

- J'ai un truc à te demander, Piotr. 

Il se tait et je tire sur ma cigarette. 

- T'a déjà tué quelqu'un pour qui tu avais de l'affection ? 

- Ouais, gamin. 

- Ça fait quoi ? 

- Mal, dit-il. Je te conseille pas de le faire, on est plus le même après, ça te reste toute la vie. 

Je le sais pertinemment, mais je veux l'entendre de sa bouche. Dans ma poche, mon téléphone vibre et je le sors ; le nom de Teddy s'affiche sur l'écran, je l'ignore et je me penche pour voir la hauteur vertigineuse sous mes pieds. Assis sur le toit, je sais que chaque heure qui passe sans que je ne donne de nouvelles fait grandir cette dette que j'ai, et il faut que je rentre ce soir avant de me mettre réellement en danger. 

- Pourquoi, tu va tuer une femme que t'aimes ? Tu prévois de faire un truc sale ? 

- Je crois que je distingue plus la saleté sur mes mains, je souris. 

Il hoche la tête en ricanant, sachant très bien de quoi je parle, et on reste là, en silence, posés sur le rebord à observer les gratte-ciel devant nous.

- C'est la voiture de Dimitri, dit-il à un moment donné en se levant précipitamment. 

Je me lève à mon tour, on traverse le toit et on rentre par l'escalier de la sortie de secours avant de descendre tous les étages de l'immeuble. Arrivés à bas, le fameux Dimitri nous attend, appuyé contre le capot de sa grosse voiture. Il s'adresse en russe à Piotr alors que j'écrase ma cigarette sous mon talon. 

- J'espère qu'il a l'argent. 

- Il t'entend, je dis à mon tour. 

Il croise mon regard. Touché coulé, Dimitri. Voilà un truc que Piotr m'a appris ; ne jamais laisser qui que ce soit se tromper sur ton compte. S'imposer avant que quelqu'un d'autre ne le fasse. 

- Putain d'ukrainiens, soupire t-il.

L'avantage de l'ukrainien, c'est que la langue ressemble énormément au russe et donc on se comprend plutôt facilement. Je sors de ma veste en cuir une enveloppe blanche bien épaisse que je lui tends solennellement en guise de bonne foi - je ne lui en veux pas de douter de moi, on doute toujours de ceux qui nous doivent quelque chose. Sauf que je suis réglo. Je paye mes impôts et mes fournisseurs quand il faut le faire, je ne suis pas le plus honnête des hommes mais je suis réglo.

- Il y a vingt mille dollars, comme convenu, je déclare.

Il prend le temps de vérifier et de compter, puis il ouvre le coffre de sa Mercedes rutilante et me tend une première mallette noire bien lourde.

LE PLOMB DANS L'ÂMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant