LE PLOMB DANS L'ÂME

7.

L'alarme bleue s'allume dans le couloir et je pose le dossier sur le comptoir pour qu'une de mes collègues le range, avant de me rendre à l'accueil. Cheryl est en train d'enregistrer un couple qui de loin me semble plutôt familier, et je me rapproche quand un gémissement s'échappe de la bouche de la femme, au cas où ma responsable aurait besoin d'aide supplémentaire. Puis je reconnais la personne devant moi en une seconde.

Alina. 

Elle est avec Ren. 

- Bonjour, je dis en arrivant près d'eux. 

- Elle a perdu les eaux, indique Ren. Il y a déjà plusieurs heures. 

Je tique à ces mots ; comment ça, il y a plusieurs heures ? Les parents sont censés venir quand la maman perd les eaux. C'est ce qu'ils font en temps normal, mais je n'ai pas l'impression que ces deux-là rentrent vraiment dans la notion de normalité... Après qu'ils se soient enregistrés, je guide les tous les deux dans une chambre et leur dit qu'une sage-femme va passer pour vérifier son col. 

- Je voulais accoucher chez moi, dit-elle durement. 

Je fronce les sourcils en me rappelant la raison pour laquelle elle était venue il y a quelques temps.  

- Avec les saignements que vous avez eu, on a dû vous dire que c'était déconseillé ? je questionne. 

- C'est moi qui l'ai forcé. 

Je tourne la tête vers Ren. D'accord, je vois le genre, Alina Young a l'air d'une femme très stricte et bien campée sur ses positions. Heureusement que son collègue a réussi à la raisonner. Si il est vraiment son collègue, raille une petite voix en moi et je la fais taire immédiatement ; ce ne sont pas mes affaires et j'ai autre chose à faire que de spéculer sur leur statut matrimonial. Cheryl entre dans la pièce, pose la perfusion et règle le débit pendant que je pose un pansement sur la peau d'Alina. Elle fait une prise de sang et appelée par une autre collègue, je sors de la salle. Je rentre dans une nouvelle chambre, dans laquelle un papa est allongé par terre après avoir fait un malaise - ça arrive plus souvent qu'on ne le pense.

- On va le mettre sur le côté, tu es prête ? 

Je me saisis  de son bras et de son pied et on le met sur le côté en attendant qu'il revienne à ses esprits. C'est sur que les chairs, le sang, un être humain qui passe par ce petit trou là, ce n'est pas quelque chose que les gens sont préparés à voir. Une fois que le papa est de nouveau conscient, on l'assoit sur une chaise et on lui donne un peu d'eau et soudain, un cri transperce le brouhaha. Il se lève immédiatement alors que la sage femme pose le bébé sur la poitrine de la maman qui se met à pleurer. Je me recule, un sourire au lèvres : le miracle de la vie, voilà ce que c'est. J'adore ce service. Dix minutes plus tard, je vais prendre ma pause et m'assois sur la chaise de libre, seule dans la salle de repos, mon gobelet de café brûlant à la main. Moi qui comptait vraiment sur ma nouvelle vie pour oublier Ren et cette histoire de coup de couteau... Maintenant, elle paraît me poursuivre. Et c'est désagréable. Une fois que ma pause est finie, je vais prendre les constantes de deux autres patientes et prépare le chariot d'urgence dans la chambre d'une d'entre elles, sachant que l'accouchement est imminent et que c'est une grossesse à risque, et je fais bien, car quelques minutes plus tard les sages femmes lui demandent de commencer à pousser. Je m'occupe de régler la perfusion et l'auxiliaire de puériculture prépare ce dont elle aura besoin pour le bébé quand il sera né. 

Cheryl entre dans la salle lors de la troisième poussée et que je tiens le champ préparatoire pour les sage-femmes. Un quart d'heure plus tard, le bébé sort et est directement posé sur la poitrine de la maman. Les deux parents se regardent en souriants, émus et Cheryl et moi l'essuyons doucement. La sage-femme rabat une couverture sur lui. Je pose les deux clamps pour que le papa coupe le cordon et recule pour lui laisser la place. Après avoir félicité la maman, la sage-femme reste pour l'expulsion du placenta et nous repartons.