La Tour d'Ivoire - Tome 3

Les héros qui furent et ceux à venir

Show me a hero and I'll write you a tragedy.

F. Scott Fitzgerald

Dans l'encadrement de la porte, Seth me regardait. Habillé d'une tunique vert foncé cintrée à la taille, beaucoup plus légère que celle qu'il portait habituellement, de bottines cirées, et d'un ceinturon serti d'émeraude, il avait tout d'un prince. Mais ses cheveux noirs coiffés en bataille, ses yeux brillants d'intelligence et ses mouvements vifs et précis étaient ceux d'un guerrier. Je levai les yeux vers le sommet de son crâne où sa couronne d'émeraude reposait. Il la portait avec tellement de naturel qu'on oubliait qu'elle s'y trouvait, elle faisait partie de lui, tout comme le sang royal qui coulait dans ses veines. Seth Sarkis ne voulait peut-être pas être roi, pourtant il avait tout d'un souverain. Tout chez lui transpirait l'assurance, le pouvoir et la force. Lorsqu'il me regardait ainsi, je comprenais mieux pourquoi certains et certaines étaient prêts à mourir pour sa cause. Pourquoi la froide Elvira, l'intransigeante Néhora, et le rusé Jesmiel avaient voué leur vie à sa personne. Il était plus. Plus que les autres hommes.

            Une voix en moi, une voix lointaine, qui me venait peut-être de l'instinct des hommes et des femmes d'avant, me souffla que les étoiles soufflaient son nom, que l'univers tremblait sous ses pas et que la vie glorifiait son âme. Je ne savais pas d'où me venait ces soudaines certitudes, peut-être parce que j'avais enfin accepté le fait que j'aimais cet homme, que j'aurais voulu pouvoir être sienne, que ce n'était pas un hasard qu'il se soit retrouvé sur ma route, que nous étions voués à mener une guerre, et bien plus encore, ensemble.

            J'aurais voulu prendre son visage entre mes mains et lui murmurer tout cela, lui dire que j'avais foi en lui, qu'il doutait peut-être, mais que l'univers tout entier avait misé sur lui, tout comme j'avais remis moi-même ma vie et celle de mon enfant entre ces mains. Je voudrais laisser mon amour caresser sa peau, et chanter son courage. J'aurais voulu lui dire qui j'étais. Que moi, une princesse Ivoirienne, habituée à la beauté parfaite, au somptueux et à l'égoïsme, était prête à tout risquer avec lui pour voir son idéal se réaliser. Que j'étais prête à me battre pour lui. À mourir.

            Voyait-il tout ça dans mes yeux ? Comprenait-il que mon cœur était à lui ? Que mon âme avait attendu la sienne pendant 18 ans ?

            Son regard ne quitta pas le mien. Malheureusement, j'étais incapable de lire en lui. Impossible de savoir à quoi il pensait. Son regard était un masque impénétrable. Pourtant, lorsque ses yeux parcoururent délicatement mon corps, j'y lus l'émerveillement.

            -Tu as effectué un travail formidable, Alyzéa.

            Sa voix grave me fit sortir de ma torpeur. J'avais complètement oublié la présence d'Alyzéa à côté de moi. Elle nous regardait tour à tour avec un air qu'elle voulait détaché, mais je voyais bien la lueur de curiosité qui illuminait ses iris. Les rumeurs allaient donc commencer dès cet instant. Bientôt, après cette soirée, tout le monde saurait que Lévana Sildek était la favorite du Prince Seth. Je deviendrai une cible, et en même temps, je serai intouchable pour les Nations ne souhaitant pas une guerre. Donc toutes mis à part celle de Diamant. La nation de Rubis n'osera pas me faire du mal, et toute proposition de les rejoindre impossible. Mais plus que cela, l'enfant que je portais sera en sécurité. Présumé fils ou fille d'un Prince, futur roi, il sera protégé par tout un royaume.

            Alyzéa fit une brève révérence, rougit et gagna la porte en quelques mouvements gracieux. Elle s'arrêta quelques mètres avant et se retourna vers moi.

            -Mettez le collier, Lévana Sildek. Faites-vous une place de choix dans ce monde.

            Puis elle disparut.