La Tour d'Ivoire - Tome 3

Naissance Rubis

Un symbole ne meurt jamais.

La naissance d'Hélios n'avait pas changé Ayaan.

            Que m'étais-je donc imaginée.

            À l'image de son défunt père, Ayaan aimait les mises en scène.

            Lorsqu'il avait refusé de me dire ce qu'il comptait faire pour l'annonce de la naissance d'Hélios, j'aurais dû me douter que quelque chose clochait. Mais stupide comme j'étais, j'avais décidé de lui faire confiance.

            Grosse erreur.

            De mon trône, je vis une jeune fille arrivée escortée par trois gardes.

            Elle était en piteux état. Ses cheveux noirs étaient sales et emmêlés, sa peau bleuie par les coups. Lorsqu'un des gardes tira ses cheveux vers l'arrière, je pus apercevoir son visage : une peau pâle, des yeux cramoisis.

            Une domestique. Un affreux doute s'insinua en moi.

            Je cherchai des yeux le regard d'Ayaan, qui m'ignora. Un sourire énigmatique flottait sur ses lèvres.

            Je serrai Hélios contre ma poitrine.

            Il venait de présenter notre fils au peuple, puis il nous avait à tous demandé de patienter : sa « surprise » pour la naissance de son premier enfant allait arriver.

            Visiblement, c'était cette enfant.                            

            -Mesdames et Messieurs, en l'honneur d'Hélios Malkam, mon fils, j'offre la vie de cette femme. Une Souffleuse de Rêve du nom de Lévana Sildek. Elle représente la rébellion infâme que nous avons écrasée et les barbares qui pullulent En Bas, à nos portes. Par sa mort, la prospérité nous sera offerte. Mon fils, que ta gloire soit infinie !

            Lévana Sildek.

Je me crispai.

            Elle croisa mon regard. La déception que j'y lus embrasa mon corps entier.

            Tu ne devrais pas être là, semblèrent me crier ses yeux rouges.

            Elle avait raison, je ne devrais pas être là. Elle avait donné sa vie pour moi, elle avait tout perdu pour que je puisse fuir.

            Son sacrifice avait été vain.

            Je baissai les yeux, incapable de la regarder en face plus longtemps.

            La honte me submergea.

            Mes yeux restèrent résolument baissés, même lorsqu'elle fut mise à terre, même lorsque le coup de feu partit, même lorsque la foule applaudit, même lorsqu'Ayaan posa une main sur mon épaule.

            Et pendant tout ce temps, Lévana Sildek n'avait jamais cessé de la regarder. Jusqu'à son dernier souffle, elle avait contemplé celle pour qui elle avait donné sa vie.

En vain. En vain.        

            Je tremblai.

            J'étais en train de devenir comme Séraphina Malkam. Je n'osais plus rien. J'allais m'étioler, j'allais finir par perdre la raison. Ayaan finira par me tuer. Je ne gagnerai jamais.

            Le message qu'il avait voulu me faire passer avec la mort de Lévana était clair : c'était moi et mon passé qu'il tuait. La naissance de mon enfant signifiait la fin de cette vie.