La Tour d'Ivoire - Tome 3

Les tréfonds de l'océan - Partie I

        "I don't know wat's worse : Drowning beneath the waves or dying from the thirst."

o.m.

  Devant les portes menant à la salle de bal, j'eus un bref mouvement de recul. Seth le remarqua et s'arrêta net, m'observant avec inquiétude.

-Lévana ? Que se passe-t-il ? Tu as mal ? C'est le bébé ?

Rien de tout cela.

Les doubles portes étaient immenses, incrustées de minuscules coquillages, elles montaient jusqu'au plafond. D'un bleu profond, comme devaient surement l'être les fonds marins, elles prenaient tout l'espace. Des vagues y avaient été finement sculptées, donnant l'impression que les portes ondulaient au gré d'une mer ou d'un océan imaginaire.

L'air me manqua. Je revenais quelques semaines en arrière, quelques mois, quelques années. L'enfant que j'étais attendant ses parents devant la salle de réception des Malkam, prête à voir tous les visages se tourner vers moi. Sans alliés, sans soutien, sans sentiment de sécurité que tout enfant attend. Lorsque ma grand-mère était encore là, je me réfugiais chez elle, mais lorsqu'elle avait disparu, Iris avait été mon seul foyer. La seule source de tendresse et d'amour. Mon rayon de soleil. Mon souffle. Ma pulsation de vie.

Je fermai les yeux.

Tu n'es plus dans la Tour. Tout ça c'est fini. C'est derrière toi. Tu n'es plus seule à présent. Tu as perdu Iris, mais tu as retrouvé grand-mère, et rencontré des personnes merveilleuses. Ta nouvelle famille.

Je pouvais continuer de me convaincre, de me rassurer, mais une partie de moi savait que je n'en avais pas fini avec la Tour et les miens. Je ne faisais que fuir l'inévitable. Un jour, je devrais m'y confronter. Me confronter à mon passé... à eux... à lui. Seth, Gabriel, Elina, et tous les autres ne pouvaient pas me protéger de ça. C'était mon combat.

Je me retournai vers Seth, qui, avec son intelligence habituelle, avait compris qu'il ne servirait à rien de me pousser à parler. Que j'avais besoin de temps.

-Nous sommes tous hantés par quelque chose, Lévana. Tu n'as pas à le cacher. Fais-en une force, et rien ne pourra t'arrêter.

-J'y suis encore loin.

-Avec le temps, on guérit de tout, tu verras. Même de l'indicible.

Délicatement, il passa un bras autour de ma taille et approcha son visage de mon cou.

-Ce soir, tes peurs sont miennes, et tes rêves fleurissent avec les miens.

Je soudais mon regard au sien.

-Il est grand temps d'annoncer nos fiançailles, soufflai-je.

Un sourire éblouissant éclaira son visage.

-Après vous, ma reine.

Alyzéa avait raison. Le Soleil d'Éternité faisait clairement son petit effet. Presque plus que ma main lovée dans celle du Prince Émeraude.

Seth jouait merveilleusement bien la comédie, autant que moi à vrai dire. À nous voir ainsi, complices et tendres l'un envers l'autre, impossible de savoir qu'en vérité, rien de tout cela n'était vrai. Que ce n'était rien de plus qu'une machination politique. Seuls les Huit Joyaux d'Émeraude, Jesmiel, Saef, et Maria étaient au courant de la supercherie.

Je vis des hommes et des femmes s'agenouiller devant moi, caressant le bijou autour de mon cou, certains voulaient me toucher, d'autre m'embrasser ou me prendre dans leur bras. D'autres encore pleuraient. Si j'étais habituée à être au centre de l'attention, je ne l'étais pas face à une foule de gens emplis de bonté envers moi. J'étais née dans la cruauté, l'indifférence et la perfidie. Là, j'étais face à l'admiration, la gratitude et le respect. Des attitudes qui m'étaient complètement étrangères.