Le poison du monde - Partie II

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Notre amour reste là
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir

Jacques Prévert

Myriam

  -Après cet incident, expliqua Myriam, je le fuyais. Il ne chercha pas non plus à prendre contact avec moi. Je ne devais plus lui parler avant longtemps. La prochaine fois, ce sera des années plus tard. Je serai une Émeraude, lui, chef des armées de la Nation de Rubis. J'étais devenue son plus grand ennemi. Et il était le mien. Après la mort de Nikolas, ma mère perdit la raison. On retrouva son corps quelques jours plus tard écrasé sur les roches entourant le Palais de Rubis. Elle s'était jetée dans le vide, par la fenêtre de la chambre qu'elle n'avait pas voulu quitter depuis la venue au monde de Nikolas, et depuis sa mort. On les enterra au fond de l'ancien jardin de ma mère, dans notre ancienne maison.

9 ans avant...

Myriam se tenait bien droite. Les tombes de son frère et de sa mère lui faisaient face. Clara lui tenait fermement sa main. Son père se tenait à la droite de sa sœur jumelle. Beaucoup de personnes s'étaient rassemblées dans l'ancien jardin de la famille Devon pour assister aux funérailles.

La Nation de Rubis était la seule qui avait gardé la tradition d'enterrer les morts, que les Ivoiriens avaient longtemps continué de perpétrer avant de se rendre compte que la crémation était beaucoup plus simple dans une Tour. Mais les Rubis, en opposition avec les autres Nations, avaient décidé de faire autrement, d'honorer leur mort comme le faisaient les gens d'avant. Les autres Nations brulaient les corps des défunts durant des feux de joie impressionnants. Ils ne venaient pas se souvenir de leur mort dans un lieu précis, la gemme léguée par les défunts faisait office de rappel constant à l'être perdu.

Sa sœur avait relevé ses cheveux sur le sommet de son crâne. Le Rubis de leur mère bien visible sur son oreille. Quant à Myriam, elle portait celui de Nikolas. Pour ne jamais oublier.

Myriam s'était coupé les cheveux très courts. Elle avait eu besoin de ce geste radical pour soulager sa douleur. En vérité, ça n'avait rien soulagé du tout, mais le geste avait été libérateur. À présent, elle était une autre. Elle voulait que cela se voie, que tout le monde le sache.

Elle enterrait la Myriam d'avant en même temps que sa mère et son frère. Elle enterrait sa gaité, son côté malicieux, son impatience et la file gâtée qu'elle avait été. Elle préparait déjà sa vengeance. Elle la savourait, la faisait rouler sous sa langue, la décortiquait dans les moindres détails. Constantin payerait. Dana payerait. Eudoxe payerait.

Clara ne comprenait pas la soudaine haine qui animait sa sœur. Elle lui disait que la vengeance ne la soulagerait pas. Que ce qui était fait devait être accepté. Myriam savait qu'elle avait raison. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer les Saren mourir.

Lorsqu'elle avait appris la mort de sa mère, ce fut pire que tout ce qu'elle avait vécu jusque-là. Elle avait eu la terrible impression que tout s'écroulait autour, que la terre s'ouvrait sous ses pieds et qu'elle l'engloutissait. Elle n'avait pas pleuré. Elle n'y arrivait plus. Clara et son père étaient inconsolables. Marek ne parlait presque plus. Sa vie avait pris fin en même temps que celle qu'il aimait tant. Ils avaient tout perdu. Améliane était leur soleil, leur lumière, celle qui les soudait.

Son père s'avança pour dire quelques mots. Il parla d'Améliane, de la jeune femme qu'elle avait été, de la femme et mère qu'elle était devenue. Myriam n'étendait pas, elle était perdue dans sa propre douleur. Seule la poigne de fer de Clara l'empêcha de sombrer complètement. Elle puisa toute la force possible dans l'amour qu'elle avait pour sa jumelle. Il ne lui restait que ça de tangible, à présent.

La Tour d'Ivoire - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant