La Tour d'Ivoire - Tome 3

Ruine des temps

"Le temps efface les souvenirs au goût de miel et de larmes, et laisse en nous le feu des regrets."

MM

Elvira

            Elle était couverte de sang.

            Du sien, et de celui de ses ennemis.

            Non, celui de ses frères, de ses sœurs.        

            Le passé est le passé, se dit-elle en pensée, secoue-toi Elvira !

            Son bras droit était cassé, mais heureusement pour elle, elle était gauchère. Elle avait aussi une sale entaille à la cuisse, là où une flèche avait arraché une partie de sa peau.

            Elle saignait beaucoup. Trop.

Elle ne mourrait pas. Non, pas encore. Mais ce n'est plus qu'une question de temps. De jours, d'heure, de mois.

            À seulement 25 ans, Elvira allait mourir.

            Étrangement, cela ne lui fit ni chaud ni froid.

            Peut-être qu'au moment fatidique penserait-elle à celle qu'elle aime, peut-être penserait-elle à ses amis, surement pas à ses parents, mais probablement à ses frères et sœurs. Enfin, pas tous...

            Sa natte était poissée de sang, il ne restait plus rien de sa blondeur d'origine.

            Elle s'était battue de toute son âme, de toutes ses forces. Hors de question de voir sa Nation s'effondrer, celle qui l'avait recueillie enfant, celle qui l'avait élevée, formée, aimée.

            Elle s'était battue pour Seth, Gabriel, Néhora, Elina, Raphaël, Myriam, Clara, pour tous ceux qu'elle aimait.

            -Repliez-vous ! Repliez-vous !

            La voix de Néhora fendit les ténèbres.

            Encore une bataille qu'ils allaient perdre. Encore une...

            Les Diamants étaient trop nombreux, et même si les guerriers Émeraudes étaient connus dans le monde entier pour leur talent et leur force, ils ne faisaient plus le poids face à une armée toujours plus grande.

            Elvira savait tout cela. Elle avait toujours su que le jour où ils se confronteraient véritablement aux Diamants, ils seraient écrasés par leur supériorité numérique.

            Blessée, elle réussit tant bien que mal à se frayer un chemin dans cette boucherie. Même diminuée, elle parvenait à abattre son épée avec force.

            Elle perdait trop de sang. Au fond d'elle, elle savait qu'elle n'arriverait pas à traverser tout le champ de bataille pour regagner le camp.

            Elle se battait toujours en première ligne. Ce jour-là, elle le regretta.

            Elle jura. Puis avisa une trouée sur sa droite.

            Une forêt. Parfait. Elle pourrait s'y cacher le temps qu'elle retrouve des forces, ou que l'un des siens la retrouve.

            Elle donna tout ce qui lui resta de force et atteignit enfin les bosquets. Elle s'y jeta presque, et rampa jusqu'à se retrouver assez loin du champ de bataille. Assez loin de la mort et de la puanteur ambiante. Le sang emplissait l'air et donnait la nausée. Elle détestait cette odeur. Pourtant, elle l'avait senti toute son enfance.