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Madinah.

Chez Madinah / 31 mai 1998 / 9h56.

Deux semaines se sont écoulées depuis que Kawtar nous a quittés. Je ne suis que très peu sortie, depuis, toujours sous le choc. J'ai passé mes journées seule, à broyer du noir, à nous remémorer nos bons moments, nos disputes, nos fous rires, et le temps file sans que je ne pense à m'alimenter ou à appeler qui que ce soit. Alors voilà ce qu'est devenue ma vie depuis sa mort, je passe mes journées, enfermée chez moi, sans parler à qui que ce soit, sans manger grande chose, et toutes mes pensées sont rivées sur Kawtar. J'ai eu du mal à l'accepter, je n'arrivais pas à me convaincre qu'elle était vraiment morte...

Mais j'ai été forcée de l'accepter, lorsque je me suis rendue chez elle, trois jours après son décès, pour présenter mes condoléances. J'ai dû faire un effort surhumain pour m'y rendre, car rongée par la culpabilité et affaiblie. Une fois sur place, il m'a fallu feindre un état neutre pour ne pas attrister sa famille davantage alors qu'au fond je retenais mes larmes, je me sentais vide et je faisais taire mon cœur. Ismaïl ne me lâchait pas du regard, et je peux jurer que s'il pouvait tirer des balles avec ses pupilles, je ne serais plus de ce monde. J'ai compris qu'il m'en voulait sûrement de ne pas avoir été avec Kawtar, quand elle me réclamait... Et après tout, il est en droit de m'en vouloir, je me sens moi-même terriblement coupable. Je me déteste de ne pas avoir été là pour elle, comme il le fallait, quand c'était nécessaire...

Aujourd'hui, je dois dealer avec son absence, et j'ai sa mort sur ma conscience. Je crois que je n'ai jamais eu autant de sombres pensées que maintenant, déjà que je me déteste de l'avoir laissée agoniser, d'avoir ignoré ses appels à l'aide, j'ai l'impression qu'on m'a arraché ma moitié. C'était une sœur à mes yeux. Je l'aimais de tout mon cœur, malgré les hauts et les bas. Cela ne fait que quelques jours et pourtant elle me manque déjà terriblement. Me dire que je ne la reverrais plus jamais me brise le cœur, je suis anéantie comme je pensais ne plus jamais l'être...

Le lavage mortuaire et la prière mortuaire ont eu lieu rapidement après son décès, et après l'enterrement je me suis rendue de nouveau chez sa famille mais je ne suis pas restée longtemps. Je me sentais tout aussi mal que ses autres proches, mais personne ne s'en souciait, un peu comme si je n'étais pas légitime d'être là et de souffrir de sa mort. Je ne me suis jamais sentie aussi mal de toute ma vie, car la douleur était amplifiée par l'attitude de ses proches à mon égard, j'ai été ignorée, et personne n'a cherché à me consoler contrairement aux autres personnes proches de Kawtar qui étaient présentes.

J'étais comme une pestiférée, ça m'a fait encore plus mal de le constater, alors j'en ai conclu qu'il était préférable de souffrir à l'abri des regards, dans mon petit cocon. Je suis rentrée chez moi et, à partir de ce jour-là, je n'ai plus quitté la maison. Je n'ai même plus cherché de soutien, je ne réponds même plus aux peu d'appels que je reçois, pour éviter de discuter en étant passive, mon état actuel ne me permettrait pas d'être joviale. Je veux seulement rester seule et ne parler à personne.

La mort de Kawtar est due à un cancer des poumons, contre lequel elle se battait sans relâche dernièrement. J'ai compris, après avoir écouté les conversations de sa famille, lorsque j'étais chez eux, que son cancer était présent depuis déjà un moment. Il avait été diagnostiqué trop tard, la tumeur avait atteint d'autres organes, elle a donc souffert pendant tout ce temps en silence. Cela faisait un an qu'elle luttait, mais c'était son heure... Elle ne m'en avait pas parlé, j'avais des doutes mais je m'étais persuadée que je me faisais des idées et qu'elle n'était sûrement pas malade, car je pensais qu'elle me l'aurait dit, sinon. J'ai été stupide de croire à ça, sans creuser.

Madinah ~ Le reflet de soi-même. [EN CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant