Chapitre 2

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Le temps n'est ni beau ni mauvais. Le ciel est globalement gris, avec quelques vagues aplats de bleu. Il fait toujours frais mais je ne préfère pas prendre de manteau. Bientôt je transpirerai sûrement à grosses gouttes. 

Je repère rapidement la direction de la forêt sur mon portable et commence aussitôt à courir à petites foulées à travers les ruelles aux pavés inégaux dont cette ville semble composée. S'il n'y avait pas tous ces fils électriques tendus dans tous les sens, je pourrais me croire transporté à une autre époque. Toutes les maisons doivent être vieilles de plusieurs siècles. La nôtre date du XVIIIe siècle, d'après les recherches de ma mère. 

Je choisis une chanson au rythme soutenu et augmente légèrement le volume pour me laisser emporter par une musique pour sa part bien contemporaine. 

Je croise quelques personnes sur le pas de leur porte qui me regardent passer avec curiosité. Je leur adresse un vague signe de tête sans m'arrêter. Peut-être est-ce un tort. À Paris, personne ne connaît personne. J'ai dû ne pas échanger plus d'un mot ou deux à notre ancienne voisine de palier (à l'exception du jour où elle est venue se plaindre parce que je faisais soi-disant trop de bruit). J'ai entendu dire que cet anonymat n'était pas toujours la règle dans le reste du monde. Je viens peut-être de vexer la moitié de la ville. Tant pis. 

Je me laisse guider par mes pas. J’adore courir. Il suffit de mettre une jambe devant l’autre, sans réfléchir. Mes soucis s’envolent et j’oublie pendant un moment que mes parents m’ont subitement forcé sur un coup de tête à quitter mon ancien lycée pour déménager à l’autre bout du pays. Je me concentre sur la musique, les yeux à moitié fermés. C’est en raison de cela que j’entre soudain en collision frontale avec un jeune homme baraqué qui avançait en sens inverse en compagnie d’une fille aux cheveux blonds. 

Je rouvre les yeux en reculant d’un pas, très gêné. Le garçon fronce les sourcils et me contemple de haut en bas. Il ne doit pas être beaucoup plus âgé que moi mais me domine de près de vingt centimètres. Il a des cheveux noirs coupés très court, la mâchoire carrée et l'expression renfrognée d'un type pas commode. 

Je m’apprête à ouvrir la bouche pour présenter mes plus plates excuses lorsque l’odeur des deux personnes en face de moi arrive soudain à mes narines. Je recule encore d’un pas, surpris. Je n’ai jamais encore rien senti de tel. J'ai remarqué il y a longtemps que mon odorat était supérieur à celui d'une personne normale. Ce n'est pas le cas de mes parents et je ne m'explique pas cette particularité. J’entends et je vois également mieux. J’ai donc l’habitude de percevoir des choses qui échappent aux personnes ordinaires. C’est cependant la première fois que je rencontre deux personnes sentant ainsi. En réalité, ces deux adolescents diffusent une odeur... animale. Oui, c'est le mot qui me vient spontanément à l'esprit. Surtout le garçon. Il provoque en moi une impression de sauvagerie et je sens soudain les battements de mon cœur s'accélérer alors que je suis à l’arrêt. 

— Ex... excusez-moi, je bredouille.

Le garçon ouvre la bouche comme s'il allait dire quelque chose mais je file à toute allure sans lui en laisser de temps. Il ne cherche heureusement pas à m’arrêter. Je cours sans oser me retourner. Il y a quelque chose dans ce jeune homme qui ne me met pas à l’aise. 

Mon cœur bat toujours un peu vite lorsque j’atteins la forêt. La route se transforme en un sentier en terre qui se dirige droit vers des arbres denses et je m’y engage avec une petite moue dubitative. Est-ce vraiment mieux pour courir ? J’aimerais croire que non. Essentiellement pour pouvoir contredire mon père. 

Je ralentie un peu en m’enfonçant au milieu des arbres. Comme un fait exprès, ma chanson change à ce moment-là pour un morceau plus mélancolique. 

Le loup et moi (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant