Je reste muet. Émile me fixe, sérieux comme le pape.— Qu… quoi ? je bredouille.
Ma tête tourne comme une toupie. Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire absurde ?
Mon camarade prend un ton patient.
— Il est, je pense, l’un des deux loups que tu as vus. Son pelage est beige, comme ses cheveux. Il a dû se transformer pour aller te parler. C’est pour cela qu’il était nu, pas parce qu’il est un pervers.
Je secoue la tête, méfiant.
— Comment voudrais-tu que je te croie ? Les loups-garous n’existent pas ! N’essaie pas de me faire gober n’importe quoi. Je ne suis pas si naïf !
Émile soupire.
— Très bien. Je vais te fournir une preuve irréfutable.
À ma grande surprise, il entreprend de se débarrasser de son pull puis de son pantalon.
— Hé, ho ! Qu’est-ce que tu fais ? je m’inquiète tandis qu’il s’attaque à présent à son caleçon.
Est-ce une autre coutume locale que de se balader à poils ? Je veux repartir à Paris, moi !
Émile se met à quatre pattes tandis que je le fixe toujours avec des yeux ronds comme des soucoupes. Il est devenu cinglé, ou quoi ? Est-ce qu’il faudrait que j’appelle quelqu’un ? Et soudain, le corps de mon ami se met à frémir. Des poils sortent de sa peau à toute allure. La seconde d’après, un loup de taille gigantesque me fait face.
Je pousse un hurlement strident qui fait se coucher les oreilles de la bête et je bondis debout sur le lit pour mettre le plus de distance possible entre cette chose et moi en me protégeant avec un oreiller. J’entends des pas précipités dans l’escalier et Madame Augier, la mère d’Émile, entre dans la chambre.
— Que se passe-t-il ? s’inquiète-t-elle en me regardant, debout sur le lit et collé contre le mur comme si je voulais m’y fondre, mon oreiller posé devant la poitrine comme un bouclier.
Puis ses yeux se posent sur le loup et elle soupire.
— Émile, je t’ai déjà dit de ne pas te transformer à l’intérieur. Tu vas mettre des poils partout et boucher l’aspirateur.
Le loup paraît soudain se ratatiner et un jeune homme nu se trouve soudain accroupi à l’endroit où était assis l’animal.
— Pardon Maman. Je ne le ferai plus.
Madame Augier secoue la tête et quitte la pièce sans paraître le moins du monde étonnée. Je reste le dos collé contre le mur, les yeux exorbités. Émile se rhabille rapidement et me fait une petite grimace.
— Tu vois. Les loups-garous existent.
J’ouvre et je referme plusieurs fois la bouche, sous le choc.
— Je… je… je… je… je…
Mes jambes se coupent et je me laisse tomber sur le matelas. Émile fait mine de se rapprocher et je pousse un nouveau cri. Il s’arrête à une certaine distance, les mains levées en signe d’apaisement.
— Du calme. Je ne vais rien te faire. Tu voulais une preuve…
— Je… je… je… je… je…
Mon cerveau n’est plus capable de fonctionner correctement. Peut-être que je suis en train de faire un AVC malgré mon jeune âge. Oui, ça expliquerait pourquoi je suis en train de délirer complètement. En tous cas, c’est une explication plus plausible que de m’imaginer que mon voisin est capable de se transformer en loup !
Émile finit par s’asseoir à une certaine distance.
— Tu devrais lâcher cet oreiller, me conseille-t-il avec un sourire. Il ne s’agit pas d’une arme très efficace contre un loup-garou, tu sais ?
Je lui jette un regard noir et refuse de lui obéir. Mieux vaut une arme pas efficace que pas d’arme du tout.
— Qu’est-ce qu’il me faudrait alors ? je demande non sans ironie en retrouvant subitement l’usage de la parole. Un pistolet avec des balles d’argent ? Comment ça se fait d’ailleurs que tu puisses te transformer en plein jour ? Il ne te faut pas attendre la nuit de la pleine lune ?
Émile se met carrément à rire, comme si je venais de sortir une bonne plaisanterie.
— Ce sont des légendes, tout ça. Tout comme le fait que l’on pourrait changer quelqu’un en garou en le mordant. Ou né loup. On ne le devient pas.
— Hum…
Je regarde le tapis de la chambre qui est effectivement couvert de poils de la même couleur que les cheveux de mon camarade. Et je commence à être pris d’un horrible doute. Et si tout cela était vrai ? Manifestement, je ne suis pas en train de mourir d’un AVC.
— Hum…, je marmonne. Et tes parents ? Ils peuvent aussi se transformer en… en tu sais quoi ?
— Bien sûr que oui ! Nous sommes tous des loups dans la famille. Mais tu ne dois surtout en parler à personne, d’accord ?
Le ton de mon camarade est soudain mortellement sérieux. Je me rappelle qu’il m’avait dit un jour de ne surtout pas aller voir la police pour ne pas m’attirer de sérieux ennuis.
Mon cœur se met à battre très vite et j’en lâche mon oreiller.
— Pourquoi me révéler ce secret, alors ? je glapis. Tes amis vont vouloir me tuer, maintenant !
Émile me sourit.
— Mais Théo, toi aussi tu es un loup-garou !
Cette dernière remarque me fait à mon tour éclater de rire. Il faut croire qu’aujourd’hui je vais passer par tous les sentiments existants, de la peur la plus vive à l’amusement complet.
— N’importe quoi ! Je le saurais, tout de même ! Et je ne me suis jamais transformé comme tu viens de le faire !
Le jeune homme touche le bout de son nez sans se laisser démonter.
— Tu sens comme un loup. Ton odorat doit être supérieur à la normale, non ? Et tu as dû croiser en ville des personnes avec une odeur inhabituelle… Nous sommes capables de nous reconnaître entre nous.
Ma tête tourne et j’ai l’impression que je vais m’évanouir. Il a raison. Je repense à tous ces gens à la senteur animale. Puis quelque chose me vient à l’esprit.
— Attends, je remarque. Il y a quelque chose qui cloche. Mes parents n'ont pas cette odeur bizarre. Nous ne pouvons donc pas être une famille de loups comme la tienne !
Cette constatation me fait pousser un grand soupir de soulagement. Je n’ai rien contre les loups, bien sûr. Après tout, je rêve d’avoir un chien, n’est-ce pas ? Mais de là à souhaiter en devenir un… C’est le niveau au-dessus.
Émile se mord la lèvre inférieure.
— Théo… Je suis désolé de devoir te le dire, mais… Il est impossible que l’homme et la femme qui t’ont élevé soient tes parents biologiques.
J’ai l’impression d’avoir reçu un violent coup dans l’estomac.
— Non ! je proteste. Non ! Je… Je n’ai pas été adopté ! Mes… mes parents me l’auraient dit…
Dans le même temps, je repense aux remarques que l’on nous fait souvent, sur le fait que je ne ressemble pas physiquement à mes parents. Est-ce que… Non, cela ne peut pas être possible. Je le refuse.
Je me lève d’un bond.
— Je veux rentrer à la maison, je déclare en luttant contre une furieuse envie de pleurer.
Émile me jette un regard compatissant.
— Je crois en effet que tu as eu assez de révélations pour la journée. Je t’en dirai plus demain au sujet des loups. Et de leurs petites pratiques…
Son regard se pose sur mon cou, à l’endroit du suçon et j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui ne va pas me plaire au sujet de cette morsure… Mais il a raison. Je ne supporterai plus de subir une nouvelle révélation aujourd'hui.
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Le loup et moi (bxb) [terminée]
Romance//Gagnant wattys 2022 !// Entraîné par ses parents à l'autre bout du pays, Théo peine à trouver ses marques dans cette petite ville champêtre dressée en bordure de forêt. Ses habitants emploient des expressions inhabituelles et diffusent une curieu...