Chapitre 30

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Nous restons dans la cuisine un long moment à bavarder joyeusement. Mes parents ne me demandent heureusement pas si je comprends quelque chose à la mention aux loups de la lettre. Je n'ai pas besoin des mises en garde d'Émile pour savoir que je dois garder le secret sur ma nature. Et je souhaite leur cacher le moins de choses possible. Même si, à bien y réfléchir, mes parents m’ont menti pendant toute mon existence, alors je n’ai peut-être pas trop de scrupules à me faire. Oui, disons que j'ai désormais le droit de leur sortir un mensonge par jour sans avoir à me sentir coupable. 

Nous terminons la soirée devant un épisode d’Esprits criminels en mangeant des glaces. Puis j’envoie mes parents se coucher avant qu’ils ne s’endorment sur le canapé et je monte également dans ma chambre. 

Je me laisse tomber à plat ventre sur mon lit sans avoir sommeil. J’ai l’esprit beaucoup trop excité pour ça. Je me repasse en boucle les révélations de mes parents. En particulier cette lettre mystérieuse qui prouve sans aucune ambiguïté mon lien avec les loups-garous. 

J'enfonce mon visage dans mon oreiller pour étouffer un grognement, frustré de ne pas en savoir davantage. J'ai envie de discuter avec quelqu'un de mes découvertes et Martin est la première personne à laquelle je pense. 

Les avertissements de ma supposée mère biologique me traversent l'esprit. Ou de mon père biologique (mais dans les histoires, c’est toujours la mère qui dépose ses enfants devant la porte d’inconnus et, dans ma tête, je m’imagine une femme vêtue de haillons une nuit de neige). Je dois me méfier des loups. Martin est-il également concerné ? J'imagine que non. Cette histoire de lien à vie l'empêche certainement de pouvoir me faire du mal. Et puis j’ai besoin de parler à quelqu’un qui connaisse tous les tenants et aboutissants. Et tant pis s’il est un pervers. 

En attrapant mon portable je constate qu'il est minuit passé. J'hésite une seconde ou deux en agitant les pieds en l’air. Et si Martin dormait ? Oh, et puis c'est idiot. Quel jeune de dix-huit ans dort à minuit un samedi soir ? Et puis, même si c'était le cas, tant pis pour lui. Il n'avait qu'à pas me marquer. Qu'il me supporte, à présent ! Il va vite s'en mordre les doigts, si vous voulez mon avis. Je peux être insupportable, quand je le veux (et même quand je ne le veux pas). 

L’alpha décroche à la deuxième sonnerie. Apparemment, il ne dormait effectivement pas. J'en suis presque déçu. 

— Tout va bien ? demande-t-il aussitôt avec inquiétude. 

Je lève les yeux au ciel. Que s’imagine-t-il ? Que j’ai été écrasé par le volet pendant le bref moment qui me séparait de sa voiture et de la maison ? 

— J’ai posé la question à mes parents pour l’adoption, j’explique sans perdre davantage de temps. Et je leur ai dit que j'étais gay. 

— Oh. 

Je hausse un sourcil. Oh ? C'est tout ? Émile aussi m'avait fait une réponse semblable. Les loups semblent avoir de sacrés problèmes d'expression. Comme moi je n'en ai pas, je lui raconte tout en détail, y compris la lettre mystérieuse brûlée par mes parents. Je laisse simplement de côté mes quelques larmes. Hé oh, j'ai ma fierté masculine. Tout le monde sait que les hommes ne pleurent pas. Enfin, je crois. 

Je baisse la voix pour aborder le point qui me tracasse le plus. 

— Tu crois que… que cet avertissement est lié au fait que je ne serais que… qu'un demi loup ? 

J'attends la réponse de l'alpha avec angoissé. 

Martin grogne. 

— Cela me semble évident. Je suppose que la personne qui a rédigé cette lettre est ton parent humain. Il ou elle savait ce que tu risquais si les loups mettaient la main sur toi. 

— Quoi ? je glapis. Qu’est-ce que je risque ? 

Je me mordille le bout des doigts, anxieux. Martin met des heures avant de me répondre. 

— Je l’ignore, répond-t-il très franchement. Tu es presque adulte, alors cela change sans doute la donne. Mais la règle prescrit de tuer les nouveaux-nés à moitié humains. Tu n’aurais pas dû être autorisé à vivre. 

Je réprime un cri effrayé. 

— Mais…, je bredouille. Mais… ce n’est pas de ma faute ! Je n’ai jamais demandé à être un loup-garou ! Et maintenant tu m’explique que des personnes vont essayer de me tuer

Un grognement féroce sort du téléphone et je l'éloigne de mon oreille en grimaçant. Je crois pendant une seconde ou deux que Martin s'est transformé en loup, mais une voix glaciale sort du portable. 

— J'arracherai la tête du premier qui osera tenter de s'en prendre à toi. Et je la mangerai. 

Ma peau se recouvre de chair de poule. J'ai presque peur pour cet hypothétique agresseur. 

— C'est dégoûtant de manger une tête, je grommelle pour la forme. Ne viens pas m'embrasser après. Ou alors lave-toi trois fois les dents avant. 

Il se met à rire. 

— Promis. Je ferai un bain de bouche. Et ne t’inquiète pas trop. Il est probable que personne ne se rendra compte de ta double nature. Certes, ton odeur de loup est assez faible, mais tu es un oméga. Il n’y a pas d’autre oméga mâle en ville pour soutenir la comparaison. 

Je gigote, peu convaincu. 

— Hum… 

— J’ai d’ailleurs une idée pour augmenter ton odeur de loup, continue Martin. 

— Laquelle ? 

— Il faudrait que je me frotte contre toi le plus souvent possible. 

Je gonfle les joues d’indignation. 

— Tu te fous de moi ? Qu’est-ce que c’est que cette manipulation de pervers ? 

Il glousse à nouveau. 

— Au moins j’aurais essayé. 

— Ouais, bah c’est un échec. 

Je n’arrive même pas à avoir peur du danger que j’encoure. Il faut dire qu’il m’arrive tellement de choses en ce moment… Mes sentiments doivent être déréglés. 

Je me rends compte que c’est la première fois que je téléphone à Martin. Et voilà que nous avons bavardé pendant une heure ! Cela fait très… très petit ami ! Bientôt je vais me retrouver à lui dire à quel point il me manque où je ne sais trop quoi ! Mieux vaut mettre fin à cette discussion au plus vite. 

— Je suis heureux que tu m’aies appelé, assure l’alpha d’une voix dégoulinante de niaiserie. Tu peux le faire quand tu veux, même au milieu de la nuit. Je serai toujours là pour toi. 

Je fronce les sourcils avec agacement. 

— Oui. Bon. Bonne nuit. 

Et je raccroche en roumeguant. 

Le loup et moi (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant