Chapitre 36

10.2K 1K 266
                                    


Mme Jean arrive à 17 heures pile, une boîte de chocolats à la main. Elle la remet solennellement à ma mère, qui me la confie à mon tour avec le même cérémonial. Je la dépose pour finir sur la table de la salle à manger. Papa fait bouillir de l'eau pour le thé et nous nous asseyons tous les quatre autour de la table dans un grand raclement de chaises. 

Mme Jean se tourne vers moi. 

— Alors, Théo, me demande-t-elle. Te plais-tu à Gardelune ? 

Ploc. Elle fait tomber un sucre dans sa tasse. 

Je jette un regard en biais à mes parents. Ils me fixent avec espoir si bien que je me sens obligé de mentir. Ils sont très heureux ici, et voudraient que je ressente le même enthousiasme qu'eux. 

— La ville est jolie, je marmonne sans conviction en attrapant la tasse que ma mère pousse vers moi. Il y a... euh... de beaux paysages. 

Et beaucoup trop de loups pour ma santé mentale. 

— Tu t'es fait des amis ? 

— Hum... hum... Quelques-uns. 

Ma mère se sent obligée d'ajouter des précisions, apparemment inquiète à l'idée que son fils puisse passer pour un insociable. 

— Théo s'est lié d'amitié avec Émile, le fils de nos voisins. Un garçon charmant. Et puis il y a Martin. 

Je lui fait aussitôt les gros yeux. Ce n'est pas parce que je viens d'avouer ma vague attirance pour lui qu'il faut que mes parents se sentent obligés de raconter à tout le monde que je suis gay et que j'ai une... une sorte de relation avec Martin ! Ma mère comprend heureusement le message et referme la bouche avec un petit air penaud. 

— Martin Imbert ? veut savoir Mireille Jean. C'est également un gentil garçon. Il veut devenir vétérinaire, paraît-il. 

Ma mère en profite aussitôt pour essayer d'obtenir des informations. 

— Vraiment ? Comme c'est intéressant ! Que savez-vous d'autre sur lui ? 

Je lui jette un nouveau regard noir. Qu'est-ce que c'est que cette stratégie ? Si elle veut savoir des choses sur Martin, elle devrait plutôt lui demander directement plutôt que de mener toute une enquête dans son dos. 

Cette fois-ci, Maman ne fait même pas mine de se sentir coupable et je soupire en songeant à mon absence de vie privée. 

— Oh, pas grand chose, répond heureusement Mme Jean. Je ne suis pas ici depuis bien longtemps, vous savez. 

Je grommelle dans ma barbe en fixant mon thé fumant. Si j'y réfléchis bien, tous les loups de la meute Imbert sont en courant que je suis gay. Et probablement aussi ceux de la meute Raspail. Et sans doute la plupart des élèves du lycée. Ils ont pu en parler à leurs parents. Qui l'ont eux-mêmes mentionné à leurs amis. Et donc quasiment tous les habitants de la ville à part Mme Jean sont potentiellement au courant ! 

Je me sens pris d'un vertige. Tant de monde que ça ? Dire que je n'en ai toujours pas parlé à mon meilleur ami ! Je n'ai même pas répondu à son sms. 

Plein de culpabilité, je sors discrètement mon portable de ma poche, ouvre le dernier message de Vincent et écris : 

"Au fait, je suis gay". 

Et j'appuie sur "envoyer" avant de me dégonfler. 

Je remets mon portable dans ma poche. Il vibre presque aussitôt. Je n'ose pas le regarder. Comment Vincent a-t-il réagi ? 

Je regarde la boîte de chocolat qui me fait de l'œil. Personne n'a encore osé l'ouvrir. Je me demande si je passerai pour un glouton si je me lançais le premier... Oh et puis tant pis. Je tire sur la languette en carton pour dévoiler les chocolats. Je les examine tous avec attention avant de me décider pour un praliné en forme de coquille. Je croque dedans. Pas mal. Hum... Celui d'à côté m'a l'air également intéressant. 

Le loup et moi (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant