Chapitre 13

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Mes parents sont déjà rentrés lorsque je pénètre dans la maison. Ma mère débarque de la cuisine comme une tornade en entendant la porte s’ouvrir. 

— Théo ! Où étais-tu passé, mon lapin ? J’ai essayé de t’appeler plusieurs fois sur ton portable et tu n’as pas répondu ! Tu sais bien que je n’aime pas que tu sois injoignable. À quoi bon t'avoir acheté cet appareil si cher si tu ne l'utilises pas ? 

Je tourne les yeux vers la femme que j’ai toujours pris pour celle qui m’avait mise au monde. Je sais à présent que ce n’est pas vrai, et cela me terrifie. Pourquoi mes parents m’ont-ils caché ce fait ? Savent-ils également que je suis un loup-garou ? Et s’ils ne m’aimaient pas vraiment ? Et s’ils m’avaient élevé pour mener je ne sais trop quelle expérience ? 

Mon ventre se contracte et j’étouffe un gémissement d’angoisse. 

— Désolé, je marmonne en baissant la tête. J’étais dans les bois. Je ne devais pas voir de réseau. 

Ma mère vient me tourner autour pour m’examiner sous toutes mes coutures. 

— Tu es couvert de boue, chéri. Tu es tombé ? As-tu mal quelque part ? Tu fais une drôle de tête. 

Je baisse la tête. 

— Non. Je vais prendre un bain. 

— D’accord. Nous dînons dans trente minutes. 

Je hoche la tête et monte l’escalier d’un pas lent. Je prends juste le temps de déposer mon sac dans ma chambre et je pars m’enfermer dans la salle de bain. Je fais couler de l'eau et retire mes vêtements un à un. J’observe la baignoire se remplir, déprimé. Je déverse au moins la moitié du gel douche à l’eucalyptus pour faire de grosses bulles. Habituellement, je fais attention à ne pas trop gâcher d’eau, mais ce soir j’ai des envies de noyade. Lorsque le bain déborde presque, je me plonge dans l’eau chaude jusqu’au menton. Mes muscles se relâchent enfin et je pousse un soupir. Je laisse mes jambes flotter et je regarde mes orteils dépasser de l’épaisse couche de mousse. 

Je fais sortir mon bras gauche pour le regarder de plus près. Il est couvert de quelques poils, certes, mais je ne me suis jamais transformé en loup, et encore heureux ! Comment est-ce que je pourrais en être un ? Est-ce qu’il faut prononcer une formule magique ou je ne sais quoi ? Je regrette soudain de ne pas avoir davantage interrogé Émile. Demain, je le bombarderai de questions jusqu’à ce que mort s’ensuive. 

Maman vient tambouriner à la porte. 

— Théo ? Le repas est servi ! 

— Hum ? J’arrive ! 

Je détache le bouchon de la baignoire qui commence lentement à se vider. J’attrape une serviette pour me frictionner énergiquement. J’ai mis tant de mousse que ma peau sent l'eucalyptus si fort que j’en éternue. 

Je descends dans la cuisine après avoir enfilé un vieux pyjama et je m’assieds devant une assiette remplie d’une tranche de rôti et de petits pois. 

Mes parents racontent tour à tour leur journée. Je décide pour le moment de continuer à les considérer comme mes parents. L’inverse me ferait trop de mal. Ma mère a passé sa journée à essayer d'arracher des mauvaises plantes dans le jardin et elle a visiblement hâte d'aller travailler à la bibliothèque. Elle a également tenté de retirer le fameux volet cassé mais il est apparu qu'il était mieux fixé qu'on ne le pensait et elle à été incapable de le décrocher. Mon père est commercial dans une entreprise de porte et fenêtre. Il nous décrit longuement l’un de ses collègues qui est apparemment un type très amusant. Je ne l’écoute que d’une oreille en avalant de temps en temps une bouchée. Je sens mon portable vibrer dans ma poche pour m’indiquer que je viens de recevoir un SMS. 

— Et toi, lapin ? me demande finalement ma mère. 

J’hausse les épaules. Je n’ai même pas le coeur à la convaincre d’arrêter d’user de ce stupide “lapin”. Cela me semble de toute façon une cause perdue. 

— J’ai eu cours, je marmonne en attrapant des petits pois avec ma fourchette. 

— Tu t’es fait des amis ? insiste mon père. 

— Je suis dans la même classe qu’Émile. Et que trois autres personnes de son groupe d'amis. On a mangé ensemble à la cantine. 

— Oh, c’est une bonne nouvelle. Il a l’air d’être un chouette gosse, cet Émile. 

En temps ordinaire, j’aurais fait remarquer à mon père que plus personne n’utilise l’expression “chouette gosse” et que ça le fait juste passer pour un vieux. Mais là je me contente de faire oui de la tête. Je ne suis pas sûr en réalité qu’un loup-garou puisse être qualifié de “chouette gosse”, mais bon… Après tout, les loups-garous mangent les gens, non ? 

Je fixe soudain avec horreur le morceau de rôti que ma mère a déposé dans mon assiette. Si je suis vraiment un loup, faudra-t-il que je me mette à dévorer de pauvres promeneurs innocents ? Je n’en ai pas la moindre envie ! À moins que cela ne soit qu’une légende, comme le coup de la transformation les soirs de pleine lune ou les balles d’argent ? 

— Tu n’as pas faim, mon chéri ? s’inquiète ma mère. 

Je repousse mon assiette. Et si je devenais végétarien ? Ça existe, ça, les loups végétariens ? 

— Non, pas trop… 

Mon portable vibre une nouvelle fois à ce moment-là. Mon père sourit. 

— Tu t’es trouvé une petite amie ? C’est elle qui ne cesse de t’écrire et te coupe l'appétit ? Tu es bouleversé par les tourments de l’amour ? 

Je m’empourpre. 

— Quoi ? Non ! Bien sûr que non. 

J’ai répondu beaucoup trop rapidement et vois mes parents échanger un regard entendu. 

— Je n’ai pas de petite amie ! j’insiste d’une voix plus forte. 

Je me sens soudain encore plus stressé. Non seulement je vais devoir un jour ou l’autre confronter mes parents au sujet de mon adoption, essayer de savoir s’ils savent que je suis un loup-garou et en plus leur révéler que je suis peut-être gay ! Il serait étonnant qu’ils ne me jettent pas à la porte après avoir entendu tout ça ! 

Ma mère se lève pour poser sa main sur mon front. 

— Tu es un peu chaud, chéri ? Est-ce que tu as mal quelque part ? Tu couves peut-être une grippe. 

Je roule des yeux. 

— Tu me trouves toujours trop chaud, Maman. Et je crois que je suis juste fatigué. Je peux juste prendre des gâteaux secs pour les manger dans ma chambre ? 

Mes parents échangent un regard incertain. Je sais qu’ils tiennent absolument aux repas de famille pris à table dans la même pièce. 

— D’accord, accepte finalement ma mère. Mais ne traînes pas trop tard sur internet. Tu te sentiras sans doute mieux après une bonne nuit de sommeil. 

J’en doute fortement mais je l’approuve sagement de la tête. Je souhaite donc une bonne nuit à mes parents et me retire avec un paquet de galettes bretonnes (c'est tout ce qui restait dans le placard). 

Une fois seul, je sors mon portable de ma poche. Les messages que j’ai reçus pendant le dîner sont tous de Martin. Je les parcours un par un en avalant mes galettes. 

“Théo, ne te fâche pas s’il te plaît. J’ai eu ton numéro par Émile. Il m’a expliqué ton ignorance au sujet de ce que tu sais. Il faut qu’on parle. Martin”. 

“Théo, décroche”. 

“Appelle-moi”. 

Je grogne et jette mon portable un peu plus loin sur le matelas. Certes, je sais maintenant que ce type n’est probablement pas un pervers. Cela n’empêche qu’il est incroyablement lourd ! S’il s’imagine que je vais l’appeler, il se fourre le doigt dans l'œil jusqu’au cerveau ! 

Et puis finalement, j’imagine qu’il est tout à fait possible d’être un loup-garou ET un pervers. 

Le loup et moi (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant