Le lundi matin arrive bien trop vite à mon goût. C’est le jour de la rentrée et je suis très angoissé à l’idée de devoir me rendre dans mon nouveau lycée. Je n'avais encore jamais été "le nouveau". C'est la première fois que je serai dans un établissement où je ne connais personne, sauf Émile. Et les personnes que j'ai croisées à la fête de l'autre jour. Qui m'ont vu danser avec un autre gars. Qui me serrait très près contre lui. Et qui m’a fait un suçon (même si je croise les doigts pour que personne d’autre qu’Émile ne soit au courant).Je souffle un grand coup. Bon bon bon. J'espère que les gens d'ici ne sont pas homophobes… Non que je sois forcément gay ! Non, j'ai juste été brièvement attiré par un type avant de me rendre compte qu'il était un pervers enragé. Oui, c'est cela.
Mon ventre se noue. Comme si j'avais besoin de ce stress supplémentaire !
Après une douche rapide, je passe au moins dix minutes devant ma penderie, à me demander comment m’habiller. Je me décide pour un jeans et un pull beige très passe-partout. Puis j’enveloppe mon cou dans un foulard pour cacher le suçon qui persiste à rester malgré tout le désinfectant que j’ai balancé par-dessus. Ça me donne un drôle de genre, mais tant pis. Je ne peux pas aller en classe en donnant l’impression d’avoir été attaqué par un vampire !
Lorsque je descends l'escalier, j'aperçois des gouttes dévaler sur l'œil de bœuf de l'entrée. Il pleut des cordes. Je reste un moment planté sur place à regarder les traînées d’eau, plus déprimé à chaque seconde.
— Tout va bien se passer, Théo, assure ma mère lorsque je la rejoins dans la cuisine. Personne ne va te manger. Les gens d’ici ne sont tout de même pas des bêtes sauvages !
Je lui fais une grimace en prenant le chocolat chaud qu’elle m’apporte.
— On voit que tu as oublié ce qu’est un lycée.
Ma mère sourit.
— Quand tu seras vieux, tu regretteras tes belles années de scolarité, mon lapin, tu verras.
Je grogne.
— Permets-moi d’en douter…
Je bois une gorgée de chocolat qui me brûle la langue.
Ma mère vient m'attraper par les épaules pour me faire un câlin.
— Tout se passera bien, lapin, tu verras. Bientôt, tu te plairas bien plus ici qu'à Paris.
— Hum…
Je me tortille pour réussir à boire dans mon bol malgré ma mère qui s'accroche à mon dos comme un koala sur son arbre.
— Maman, tu vas froisser mes vêtements !
Ma mère glousse et me relâche. J'en profite pour finir mon chocolat et attraper mes céréales. Je les grignote encore lorsque mon père fait son apparition dix minutes plus tard, en costume bleu marine et rasé de près. Je trouve toujours curieux de le voir si bien habillé quand il part au travail alors qu'il adopte généralement le look "ours mal léché" à la maison.
— Je vais y aller aller, déclare-t-il en embrassant ma mère. Tu trouveras le chemin du lycée, Théo ? s'inquiète-t-il.
— Bien sûr que oui !
— Tu veux que je t'accompagne ? demande ma mère.
Je secoue la tête, consterné.
— Je ne suis plus en maternelle, Maman.
Mes parents comprendront-ils un jour que je n'ai plus cinq ans ? J'en doute très franchement. Enfin…
Je finis bien par être obligé d'enfiler mes chaussures et mon manteau et de quitter le sec de la maison. Mon père a beau affirmer que c’est merveilleux de pouvoir aller à pied au lycée, je trouve ça beaucoup moins sympathique de devoir marcher pendant vingt minutes un jour de pluie parce que, évidemment, l'établissement est situé au milieu de nulle part. Je mets ma capuche et avance le plus vite possible. Des voitures me dépassent en m’éclaboussant.
Génial.
Je profite de ce moment de solitude pour cogiter. J’ai passé une partie de la nuit à élaborer une hypothèse et je crois qu’elle tient la route. Et si ces meutes dont je ne cesse d'entendre parler depuis mon arrivée étaient des sortes de gangs ? Peut-être que ces membres font du trafic de drogue, ou de je ne sais quoi. Ça pourrait peut-être expliquer pourquoi tant de personnes sentent bizarres, ici. Cela dit, mon voisin Émile a plus l’air d’un gentil garçon que d’un trafiquant… Ses parents aussi. Enfin, ils n'ont peut-être pas eu le choix…
J'arrive devant le lycée trempé et de mauvaise humeur. Le bâtiment - l'un des seuls des environs qui doit avoir moins de cent ans - est encore plus laid que sur les photos. Il ressemble à un cube en béton percé de quelques ouvertures protégées par des grilles qui font penser à une prison. Un drapeau français sale pend tristement sur la façade principale.
Une flopée d'élèves se hâtent de franchir les grilles pour se mettre à l'abri.
— Toi, là !
Je sursaute et me retourne. Un grand type un peu plus âgé que moi s'avance dans ma direction d'un air menaçant. Je le reconnais soudain. C’est le jeune homme que j’avais percuté samedi dernier, en allant courir dans les bois. Il porte une vilaine coupure sur la joue qui paraît mal cicatrisée qui renforce son air de gros dur. Je fronce le nez. Il sent toujours aussi fort.
— Hum… oui ? je demande timidement.
Il s’arrête à un bon mètre de moi et me toise de toute sa hauteur.
— Que fais-tu ici ? À quelle meute es-tu rattaché ?
Je me renfrogne.
— Je viens de déménager ici. Et je n’appartiens à aucune meute.
Il me regarde d’un air sceptique.
— Le lycée est en terre neutre, reprend-t-il de sa voix froide. Mais tu ne peux pas traîner dans notre territoire sans autorisation. La partie de la forêt dans laquelle tu te rendais appartient à la meute Raspail.
— Ah… Je croyais que c’était une forêt communale ?
Le jeune homme me fixe bizarrement.
— C’est bien le cas. Officiellement.
Je soupire.
— Bon. Il n'y a pas de problème alors.
J'essaie de le contourner mais il me retient par le bras.
— Fais attention, petit. Ce n’est pas parce que tu es ce que tu es que tu ne peux pas t’attirer des ennuis…
Je plisse les paupières.
— Que je suis quoi ?
Le jeune homme paraît furieux de me voir soutenir son regard. Un véritable grognement sort soudain de sa bouche et je sursaute, effrayé. Mes yeux se baissent instinctivement. C'est sans doute mieux. Il serait préférable de ne pas contrarier l'un de ces potentiels trafiquants de drogue.
Le jeune homme s’approche de moi.
— Reste à ta place et tout ira bien pour toi, me souffle-t-il à l'oreille.
Puis il me plante là. Je reste figé un moment, les muscles tétanisés.
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Le loup et moi (bxb) [terminée]
Romance//Gagnant wattys 2022 !// Entraîné par ses parents à l'autre bout du pays, Théo peine à trouver ses marques dans cette petite ville champêtre dressée en bordure de forêt. Ses habitants emploient des expressions inhabituelles et diffusent une curieu...