Je parcours la forêt en sens inverse en un temps record tant j'ai peur d'être rattrapé par un loup ou par le pervers (j'ignore laquelle de ces deux possibilités m'effraie le plus). Je cours si vite que j'arrive bientôt sur la route goudronnée qui mène à la ville. Je pousse un profond soupir de soulagement en voyant s'élever les premières maisons. Je suis sauvé !Je continue cependant à avancer sur mon rythme rapide. Je passe devant ma maison sans m'arrêter pour me poster devant celle d'à côté. J'ai hâte de pouvoir me réfugier dans ma chambre, enfermé à double tour, mais il a quelqu'un que je dois voir avant. Je vais secouer Émile jusqu'à ce qu'il me dise toute la vérité. Parce que c'est bien beau de m'affirmer que je courre un éventuel danger sans me dire pourquoi ! J'ai besoin d'y voir plus clair.
Je sonne frénétiquement à la porte des Augier jusqu'à ce que quelqu'un vienne m'ouvrir. C'est la mère d'Émile. Mon comportement frénétique me semble soudain frôler l'impolitesse et je gigote, gêné. Une odeur sucrée flotte dans l'air.
— Bonjour Théo, me salue Mme Augier. Tu as besoin de quelque chose ?
Elle a un visage doux et souriant et porte une robe à fleurs. Pour être franc, je ne l'imagine pas du tout tremper dans le trafic de drogues. Mais il ne faut sans doute pas se fier aux apparences.
— Euh…, je bafouille, hum… Est-ce que je pourrais parler à Émile ? Euh… s'il est là ?
Normalement, les cours de la journée sont terminés.
Elle me sourit.
— Bien sûr mon chéri.
Elle rentre le buste dans la maison pour se contorsionner en direction de la cage d'escalier.
— Émile ? Théo est là pour toi, crie-t-elle.
Puis elle se tourne vers moi en souriant à nouveau.
— Il va arriver. Tu veux une part de tarte aux pommes ? Je viens d'en sortir une du four.
Je me dandine, un peu méfiant, et n'ose pas refuser. J'espère qu'elle n'a pas mis de la drogue dedans.
— Euh… Oui, merci…
Elle disparaît aussitôt dans la cuisine alors qu'Émile fait son apparition. Il se précipite vers moi, le visage inquiet.
— Théo ! Tout va bien ? Que t'est-il arrivé ? Tu n'aurais pas dû disparaître comme cela ! La prof de français a demandé pourquoi tu n'étais pas là, et…
Je jette un regard nerveux aux alentours.
— On pourrait parler en privé ? je chuchote.
— Allons dans ma chambre, propose mon camarade.
Mme Augier arrive à ce moment-là avec deux énormes parts de tarte encore fumantes.
— Un peu de cannelle, Théo chéri ?
— Euh… non merci…
La drogue pourrait être cachée dans ce pot de cannelle. On ne sait jamais.
Je prends l'assiette qu'elle me tend tandis qu'Émile en fait de même. Puis nous disparaissons à l'étage.
La chambre d'Émile est aussi spacieuse que la mienne, et beaucoup mieux ordonnée. Je me laisse tomber sur un fauteuil à roulettes placé devant un bureau soigneusement rangé. Il ne ressemble pas du tout au mien. Les feuilles sont classées en tas et les stylos disposés de façon strictement parallèle. Je n'ose pas y poser mon assiette. Émile m'a l'air un brin maniaque.
Je fais pivoter le fauteuil pour faire face à lui, la tarte en équilibre sur mes genoux.
— Je suis tombé nez à nez avec deux loups énormes dans les bois, je commence en triturant ma bague tête de mort.
Les yeux de mon voisin s'agrandissent.
— Oh, dit-il simplement.
Et il avale un morceau de tarte.
Je fronce les sourcils. "Oh" ? Je lui révèle que sa forêt communale abrite de monstrueuses bêtes féroces et il ne trouve que ça à me répondre ? À moins que cela ne soit de notoriété publique et que l'on ait oublié de m'en faire part.
— Dans quel endroit de la forêt te trouvais-tu exactement ? veut ensuite savoir Émile.
— Je n'en sais rien, moi, je m'hérisse. Il y avait des arbres partout. Comme dans une forêt, quoi…
Le jeune homme reste imperturbable.
— Avais-tu franchi la rivière ?
Je me remémore mon trajet.
— Hum, oui, je crois…
Émile hoche la tête d'un air entendu.
— Évite de le faire, la prochaine fois. Et reste toujours vers l'ouest, d'accord ?
Je le fixe avec des yeux ronds comme des soucoupes.
— Quoi ? C'est le seul conseil que tu me donnes ? Est-ce que cela sous-entend que des loups vivent de l'autre côté de la rivière ?
— Hum, non, techniquement ils n'y vivent pas. Et il y en a aussi sur l'autre rive, mais ils ne devraient pas te faire de mal.
Je commence à en avoir assez de tous ces non-dits.
— Et toute la ville est d'accord pour laisser ces monstres en liberté ? Et pour ne pas prévenir les nouveaux arrivants ? Je suis allé me promener dans ces bois. Mes parents également. Ils auraient pu être attaqués, eux aussi !
Émile me jette un regard inquiet.
— Calme-toi, Théo, et mange ta tarte. Tes parents ne risquent strictement rien. Quant à toi, ta marque te protège en partie.
— C'est n'importe quoi ! je m'agace.
Je me mets à faire rouler mon fauteuil d'avant en arrière comme si je voulais creuser un sillon dans le parquet. Et puis, je n'aime même pas les pommes !
— Je veux la vérité, j'insiste avec véhémence. Que se passe-t-il ici ? Pourquoi êtes-vous aussi bizarres ? Est-ce que vous êtes vraiment des trafiquants de drogue ?
Le jeune homme ouvre de grands yeux.
— De drogue ? Non, pas du tout !
Il paraît un peu indigné par cette supposition mais je ne m'y laisse pas prendre. Il pourrait feindre l'innocence pour mieux me tromper.
Je finis par poser par terre l'assiette qui m'encombre et je croise férocement les bras.
— Alors quoi ?
Émile se mord la lèvre inférieure.
— Je suis désolé, Théo, mais je ne suis pas le mieux placé pour te révéler ce secret. Tu devrais demander à…
— Ah non, je le coupe, ne dis pas "à Martin".
Je me lève, furieux.
— Lui aussi m'a agressé ! je poursuis. À la cantine, d'abord. Il s'est comporté comme si j'étais un objet lui appartenant. Et après, il m'a suivi dans la forêt complètement à poils ! C'est un pervers, je le savais bien !
Émile se met à glousser. Oui, à glousser !
— Mais non !
— Il se baladait tout nu dans la forêt ! je m'exclame en me demandant comment Émile peut continuer à défendre ce Martin. Je veux dire, vraiment tout nu ! Pas même avec un caleçon ou une paire de chaussettes ! Non, tout nu, tout nu ! Et ce n'est pas comme si on était en plein été et qu'on mourrait de chaud ! Même si ça ne serait pas une excuse !
— Il y a une très bonne raison à cela, je t'assure, s'obstine mon voisin.
— Quoi ? C'est un naturiste ? Permets-moi d'en douter ! Et maintenant dis-moi la vérité ou j'appelle la police. Je suis parfaitement capable de le faire ! Donne-moi une bonne raison de ne pas dénoncer ce pervers.
Je sors mon téléphone portable pour donner plus de poids à ma menace.
Mon camarade soupire.
— Martin n’est pas un pervers, Théo. C’est un loup-garou.
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Le loup et moi (bxb) [terminée]
Romansa//Gagnant wattys 2022 !// Entraîné par ses parents à l'autre bout du pays, Théo peine à trouver ses marques dans cette petite ville champêtre dressée en bordure de forêt. Ses habitants emploient des expressions inhabituelles et diffusent une curieu...