24 : Nathan

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La dinde m'épuise, je ne sais pas pourquoi elle est toute chamboulée, je ne suis pas capable de comprendre ses émotions. À la fin de tout ce bordel, on pourra me décerner une médaille ! Vainement, je tente de me replonger dans mon roman de fantasy, mais après avoir relu plusieurs fois le même début de phrase, j'abdique et me rends au salon.

Le regard que pose Lex sur moi est étrange, de la pitié ou de la compassion s'y lit et je déteste ça !

— Putain ! Mais qu'est-ce qui t'arrive ? l'apostrophé-je.

— R-rien...

— Pas de mensonge, tu te rends bien compte que ça n'a pas de sens dans notre situation !

— Ça ne te regarde pas, déclare-t-elle en reprenant du poil de la bête – à cause de ma colère sûrement.

— Si ça me pourrit la vie, ça me regarde !

— Alors, dis-moi de quoi tu as peur ? contre-t-elle en posant ses mains sur les hanches et en plongeant dans mes yeux.

— Je n'ai pas peur, dis-je en me gaussant devant le ridicule de la situation.

— Tu as raison, c'est pire, c'est une vraie angoisse, c'est pas parce que tu l'enterres sous ta colère qu'elle n'est pas réelle et figures-toi que je commence à la sentir ! Alors, ne dis pas que ça n'existe pas !

— Que tu meures avant que ce soit réglé, répliqué-je avec franchise.

Je la toise avec un sourire supérieur, elle était persuadée que j'allais nier, c'est évident. Ce que j'ai dit, c'est une partie de la vérité. Avant qu'elle n'amène le sujet, j'avais presque oublié la terreur. Je refuse de me refaire enfermer. La faim, la soif, le sommeil, le corps qui finit léthargique, seulement nourri par les pouvoirs, aucune distraction, rien... C'est trop dur, même pour un être éternel !

J'ai appris à parler à cause des milliers de captifs qui se sont succédé dans les cages près de la mienne durant, au moins, des centaines d'années. Mon geôlier ne m'a pas adressé la parole à part sur la fin, mais il n'a jamais attendu de réponse de ma part. Ce sont les suceurs qui m'ont tout appris avant de crever, les langues, quelques mœurs. Je n'ai pas tenté d'en garder en vie souvent, seulement les plus coriaces et dans le lot, il n'y qu'Adnan qui a réussi maîtriser sa soif sans essayer de me vider quand je pressais mon poignet à ses barreaux pour qu'il survive. Dire que j'ai appris avec ses potes de Léguevin qu'après notre libération il avait été incontrôlable... Quelle ironie. Il ne me l'avait jamais expliqué. Je savais qu'il s'était isolé avec l'un des siens un temps, mais pas pourquoi. Je ne lui en veux pas, pour la sécurité de tout le monde, Ice a toujours compartimenté sa vie.

Lex me fixe encore, elle ne semble pas trouver quoi dire, alors que je musèle avec ma détermination habituelle les souvenirs qui m'habitent.

— Maintenant que ta curiosité et rassasiée, reprends-toi ! lui asséné-je. Je veux être un peu tranquille. T'as qu'à aller faire la sieste.

— Ce serait vraiment si terrible ? finit-elle par demander.

— Oui, mais je ne peux pas trop t'expliquer pourquoi et pas parce que tu ne souhaites pas être hypnotisée, mais parce que ton âme se souviendra et qu'il y a trop de risques qu'un démon ait vent de tout ça quand tu mourras.

— Je vais aller en enfer ! Pour de vrai ?

— Tout le monde y va, dis-je en haussant les épaules. Maintenant, calme-toi.

Lex continue à parler de l'enfer, elle a peur, il y a de quoi, mais je doute que pour elle ce soit si horrible... Sauf si son lien avec moi lui laisse une marque indélébile. Cette vérité me percute, certes pour le moment elle est marquée, ma puissance se devine à travers elle, mais après ? Est-ce qu'il n'y aura pas toujours quelque chose ? Je ne connais pas très bien ce qui se passe avec les âmes, je n'ai jamais erré en enfer, je n'ai connu que ma cage !

Ne Jamais Dire JamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant