45 : Alexandra

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Angoissée, je regarde mon téléphone, espérant y lire des messages de mes amis ou de ma famille. Mais rien. Je ne capte plus depuis la veille, comme tout le monde. Depuis quelques jours le courant et les réseaux sont en dents de scie, mais ça n'avait jamais été si long. Surtout qu'avec les violences qui se multiplient, ces silences forcés sont insoutenables.

Sans lâcher mon écran des yeux, j'arrive à la pharmacie. À quelques mètres, devant la majestueuse mairie et ses pierres couleur sable, les employés sont en train de placer un panneau en bois pour afficher les informations. Des badauds les regardent travailler, certains commentent. Ils parlent de retour en arrière, d'habitudes d'un autre temps qui reviennent, puis ils finissent immanquablement par amener le sujet des « monstres ». Certains se refusent à prononcer le mot « démon », je crois que c'est parce que le terme évoque l'enfer et que beaucoup ont compris qu'il était réel et qu'ils risquaient d'y finir. S'ils savaient que nous irions tous, sans exception, ils se feraient sûrement dessus...

Des gens attendent derrière moi pendant que je sors mes clefs, ils sont pressés d'entrer. Une fois le rideau en fer levé et la lumière enclenchée – tant qu'elle fonctionne – je ne prends pas le temps d'enfiler ma blouse et je les sers. Beaucoup viennent acheter de quoi dormir ou faire taire leur anxiété. Les stocks sont durs à maintenir, certaines molécules manquent déjà. Il nous a fallu gérer des patients déçus qui sont devenus violents. C'est une vraie psychose qui s'installe, j'espère que les tensions se calmeront.

Une exclamation et des gens quittant la place en courant attire mon attention alors que je suis toujours en train de me démener pour servir au mieux les personnes inquiètes.

— Oh mon Dieu ! panique une femme en entrant par la porte électrique.

Derrière elle, un ange vient de se poser. Un déchu, même s'il n'a rien de démoniaque en apparence, je suis sûrement la seule à comprendre que tous les anges aperçus de-ci de-là vivent en enfer et qu'il ne déroge pas à la règle. Ce sont tous des déchus, il ne faut pas s'y fier.

— On fait trop souvent appel à lui et pour rien, s'amuse l'être ailé en doublant la vieille qui invoquait le Seigneur en arrivant à son tour.

Les patients s'écartent, certains vont jusqu'à fuir les lieux, alors que les immenses ailes noir dégradées de gris disparaissent. Je suis partagée entre la colère et la peur, même si j'espère contrôler la seconde.

— Je peux vous aider, dis-je sans réussir à cacher mon animosité.

— Oh, je ne suis pas le premier que tu vois de près, s'amuse l'homme faisant apparaitre ses fossettes.

— Il vous faut quelque chose ? recommencé-je.

— De l'oxycodone.

— P-pardon ?

— Au moins trois boîtes, déclare-t-il en enfonçant le clou.

— Sans ordonnance sécurisée, ce n'est pas possible.

— Tu vas me les donner quand même, ne me fais pas perdre de temps. Un humain les attend avant de m'offrir son âme, ne me complique pas la tâche.

Le déchu parle sans agressivité, je crois qu'il me fait un numéro de charme. C'est clair qu'étrangement je le trouve attirant, mais s'il s'imagine que je vais accéder à sa requête parce qu'avec ses yeux sombres il est plutôt craquant, il rêve !

— Non. Revenez avec une ordonnance. Au suivant !

Personne n'ose s'approcher du comptoir pour passer devant le déchu, ce qui m'oblige à lui faire face.

— Une humaine têtue ! J'aime bien, je pourrais te proposer un marcher ! Il sera plus intéressant que celui que j'allais obtenir.

Il tend son bras vers le mien et je recule. Mais même s'il ne m'a pas touché, il semble avoir perçu quelque chose, il plisse les yeux et me fixe un instant.

Ne Jamais Dire JamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant