Ne Jamais Dire Jamais

44 : Nathan

Des jours, des semaines se sont écoulés dans ce faux jeu de cache-cache. Je suis resté éloigné de tout, aucun démon ne m'a abordé, même pas les déchus qui me suivent. Je suis toujours intimement persuadé qu'ils ne savent pas que j'ai deviné leur présence.

Le monde a pris un nouveau virage, une malédiction a été lancée sur toutes les engeances de l'enfer, moi inclus. Les sorcières ont sûrement souhaité se protéger de la guerre imminente. Je pense d'ailleurs que si j'ai eu la paix c'est parce que les démons ne voulaient pas risquer de s'affaiblir face à moi avant de s'en prendre aux Somnores.

Leur malédiction est maligne, j'en ai vite deviné le sens, chaque démon sera coincé en dessous s'il tue un être surnaturel et qu'il retourne en bas – de son plein gré ou non. Les sorcières n'auraient jamais eu assez de magie pour forcer les corps à se désintégrer ou à rejoindre le royaume des enfers, alors elles ont choisi un chemin détourné tout aussi contraignant pour mes compatriotes. Je ne serais pas étonné si c'était la sorcière aux neuf secrets à l'origine de tout ça. Cette Alikea est une fourbe. Elle a su profiter de moi pendant plus de mille ans.

La guerre contre les Somnores se retrouve ajournée, j'imagine. La trêve qui semblait toucher la France s'est arrêtée aussi, le pays souffre autant que les autres de violence désormais. J'espère que Lex est en sureté. Quand elle est trop angoissée, j'écris à Ice d'envoyer le bleu voir ce qui se passe. Mais je leur ai interdit de dire à Lex que c'est moi qui les incite à garder un œil sur elle. Elle n'a pas besoin de le savoir. Cette faiblesse de ma part est déjà connue de deux personnes de trop.

L'hôtel où j'ai fait halte est perdu. À tel point que j'ai pas porté attention au département dans lequel je suis, il faut dire que j'en ai vu défiler un paquet. Le réceptionniste était méfiant à mon arrivée. Il tenait serré un spray au poivre sous son comptoir. Pathétique. Entre les humains qui pillent, les démons qui prennent du bon temps et toutes les autres espèces qui profitent du chaos, s'ils décident de lui tomber dessus, il ne pourra rien faire.

Les médias nous ont enfin nommés et des théories toujours plus follent courent. Les images sont analysées, que ce soit celle de personnes se tortillant de douleur les oreilles en sang – suite à une des malédictions des sorcières, elles ne se sont pas arrêtées – ou celles plus choquantes de gens blessés qui se relève. Le clou du spectacle a eu lieu aux U.S.A. – à moins que des vidéos d'ailleurs ne nous soient pas encore parvenues. Là-bas, une meute entière, voire même plusieurs, puisqu'il y avait des centaines d'individus, ont livré bataille contre des démons. Malgré les connexions et autres outils modernes qui périclitent vite, certaines nouvelles font toujours le tour du globe.

Les métamorphes sont grillés, ainsi que les « démons », même si c'est un nom fourre-tout pour le moment. Des mouvements de croyants parlent de fin du monde, c'est divertissant quand j'ai cinq minutes à tuer. Je ne sais pas comment l'humanité va apprendre à vivre avec le surnaturel, mais selon qui gagne les échauffourées à venir, il n'y aura peut-être pas de place pour un mode de vie tel que les Hommes l'ont connu jusque-là.

Après une bonne douche, je prends mon téléphone qui était en train de charger et regarde si j'ai des notifications. Il fait nuit, c'est l'heure de Ice. Ça fait trois jours au moins que je ne lui ai pas parlé, j'hésite à l'appeler. Il faudrait que je coupe les ponts avec lui aussi, mais égoïstement je n'y parviens pas. Je grimace à cette pensée, car il y a encore quelques semaines jamais je n'aurais éprouvé ce genre de sentiment... Lex a changé quelque chose en moi, quelque chose qui va peut-être finir par me faire tuer et mon seul ami avec.

Perdu dans mes pensées, c'est ce fameux ami qui m'en extirpe.

— Toujours en vie ? attaque-t-il d'entrée.