13 : Alexandra

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Je suis un peu vaseuse quand je me réveille, mais j'ai déjà été pire. J'ai pu dormir calmement une partie de la nuit, mais à peine consciente les images de la veille m'assaillent. Et je commence enfin à mettre le puzzle en place. Les évènements, les injonctions des hommes louches. Et c'est l'illumination ! C'est encore une saloperie de ce connard de Lucien ! Qui d'autre de toute façon ?

À tous les coups, c'est des clients mécontents. Pourquoi ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais j'espère que ce n'est pas parce qu'il leur a déjà vendu mes services !

Me sauter, me proposer d'être mon Mac ou je ne sais pas quoi, ça ne lui a pas suffi comme humiliation, il a fallu en plus qu'il m'envoie deux brutes.

— T'es debout ? me demande Lucas, le frère d'Ange alors qu'il me regarde d'en bas de la mezzanine.

— Oui, merci, où sont les autres ?

— Parti bosser où chez eux, mon frère ne pouvait pas rester.

— Il me l'a dit hier, je pensais me lever plus tôt que ça. Merci d'être là, je ne vais pas abuser plus longtemps.

— Ange a acheté des viennoiseries, ce serait bête que tu partes sans en bouffer et je ne suis pas pressé. Puis maintenant que tu as décuvé et moi aussi, j'aimerais que tu m'expliques ce qui s'est passé hier soir. Il faudrait peut-être aller voir les flics.

Il a les mêmes yeux marrons que son frère, ils se ressemblent énormément, jusque dans leur début de calvitie.

Je fais la grimace, me lève du lit pour descendre de la mezzanine et aller m'accouder au bar de la cuisine. Je connais peu Lucas, nous nous croisons souvent, car il est presque tous les weekends avec son grand-frère, mais en général c'est le moment où Ange le plante pour venir passer du temps avec moi. Voire l'inverse.

Lucas fait réchauffer vite fait les gourmandises au micro-ondes et s'installe face à moi. La pièce à vivre est toute petite. C'est un studio qui fait la taille qu'il faut quand on a besoin de dormir après une soirée. Il y a le minimum vital, mais il n'est pas décoré, les murs sont bruts, pas d'ornement, ça en demeure tout du moins bien pratique.

— Je ne veux pas te forcer, mais mon frère m'a fait la morale pour pas que je te laisse partir sans insister un peu.

— Qu'il est con ! m'exclamé-je. Deux mecs m'ont accostée et secouée, ils cherchaient quelque chose ou quelqu'un j'ai pas trop compris, puis ils sont partis.

— Bizarre, ils se sont peut-être trompés de personne.

— Possible, mais pas de quoi aller à la police.

— Tu as de belles marques sur les épaules pourtant, ce n'est pas anodin.

J'arrange ma chemise que j'avais ouverte pour mieux dormir. Les empreintes du mec me brûlent, mais je préfère balayer cette histoire d'un revers de main devant Lucas. Hors de question que je le mêle lui ou son frère là-dedans.

À peine l'appartement quitté, j'envoie un texto bien senti à l'autre fils de pute pour ne plus me faire intimider par ce con.

Lucien

La prochaine fois que tu m'enverras des toutous pour me faire accepter une de tes propositions salaces, je vais aux flics. Oublie mon existence. Connard.

De quoi tu parles ? Tu disjonctes ?

Arrête de jouer au con.

Alex, je n'ai rien fait, mais si tu commences à me menacer avec la police, ça va mal finir. Tu veux qu'on se voie pour en discuter face à face ? Je dois partir en milieu d'aprèm, mais je peux trouver cinq minutes ce matin.

Non, va en enfer.

Alex, si tu changes d'avis, je serais dans une heure place de la mairie, avec le monde tu n'as pas à avoir peur.

Je ne réponds pas, mais je suis tentée. Je ne saute même pas par chez moi pour me doucher et vais au lieu de rendez-vous. J'aurais le fin mot de l'histoire.

Lucien est déjà-là, son visage est fermé, il n'est pas serein, je le sens. Il ne me fait pas la bise et son regard me pétrifie.

— Bon, qu'est-ce qui t'arrive, miss parano ?

— Deux mecs m'ont agressée hier soir, à cause de toi !

— T'es pas bien, ma pauvre ! Le monde ne tourne pas autour de toi. Tu vis mal que je ne m'intéresse plus à toi ? C'est la seule excuse à la con que tu as trouvée pour me revoir ? D'habitude je devais insister pour qu'on se voie. Et là, tu es venue sans que j'en aie besoin. Je te manque ? me nargue-t-il.

— Arrête de jouer au con ! Les mecs cherchaient un truc hier soir. Et à part toi, je n'ai aucune mauvaise fréquentation.

— Je suis une mauvaise fréquentation ? Vraiment ?

Il avance vers moi, je recule. Il prend plaisir à me voir comme ça. Consciente que je fais n'importe quoi à énerver une énergumène pareille, je décide de sauver les meubles :

— Excuse-moi, tu as raison oublions-nous.

Ma voix a tremblé, mais j'ai réussi à aller au bout de ma phrase et je me retourne. Il m'attrape par le bras et m'oblige à le regarder.

— Écoute-moi bien ! Tu vas arrêter de balancer des conneries à mon sujet. Je n'y suis pour rien si deux mecs s'en sont pris à toi. Si tu entaches ma réputation, je ne serais plus aussi gentil.

Je me débats pour me dégager, il desserre sa poigne pour ne pas trop attirer l'attention et me laisse partir.

Paniquée, au lieu de rentrer chez moi, je décide d'aller chez Lucie et de tout lui raconter. Elle va me tuer de lui avoir caché des choses, mais j'ai vraiment besoin de son avis. Pressée, je m'y rends à pied. Je n'ai pas souvent marché aussi vite, on dirait que j'ai la mort aux trousses.

Il me faut quand même presque quinze minutes pour arriver à son immeuble. Mais une fois devant la porte personne ne vient m'ouvrir.

Je tente son téléphone. Rien. Merde elle bosse sûrement. Je me connecte aux réseaux sociaux et regarde si elle est active quelque part. Ce n'est pas le cas, par contre elle est sortie hier soir, je vois une photo d'elle avec David, alors j'appelle ce dernier.

— Allo Da, ça va ?

— Bordel, pourquoi tu me réveilles ? grogne-t-il.

— Désolée, tu n'aurais pas vu Lucie ?

— Elle est partie se changer chez elle avant d'aller bosser, quand je l'ai vu. Elle doit être à l'hosto là. Mais c'est bientôt sa pause dèj', non ?

— Je ne sais pas, je ne connais pas ses horaires aujourd'hui. Vraiment navrée de t'avoir réveillé, je t'offrirais une bière pour me faire pardonner.

— Pas grave, ça va pas ? Tu veux passer ?

— Je veux bien.

Et c'est comme ça que je me retrouve en route pour chez David. Toujours à pied, il habite à Narbonne aussi et ça me sera plus rapide que si je devais aller chercher ma caisse.

Je presse le pas pour rejoindre le boulevard et ne pas rester dans le coin un peu à l'écart où j'étais. Sur mon chemin, je passe devant les gares routière et ferroviaire avant de bifurquer pour marcher à côté du collège Victor Hugo et éviter l'appartement de Lucien. Ça va me faire un grand détour, mais on n'est jamais trop prudente !

L'ambiance à Narbonne est calme, il y a quelques badauds. Ce n'est pas encore la cohue de l'été où tous les recoins du centre-ville sont envahis. À part les artères principales où il y a des promeneurs, le reste est désert. Ça sent quand même l'été, les terrasses ont des contemplateurs qui se rafraichissent avec une bière et il y a peu d'étudiants. Les cours sont presque finis, c'est la dernière ligne droite.

La route m'amène devant le magasin Casimir que tous les collégiens du coin ont déjà fréquenté pour se donner une bonne crise de foie. Moi la première. Je me fais la réflexion que pour le propriétaire commencent les vacances. Il n'est même pas ouvert. Un bruit de moteur m'oblige à monter sur le trottoir ridiculement petit pour ne pas me faire écraser. Sauf que ça ne sert à rien, cette voiture pile à côté de moi et un homme m'attrape le bras par la vitre ouverte.

Ne Jamais Dire JamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant