Impuissante.
Une terrible impuissance me clou sur place. Je viens pleinement de réaliser à quel point, nous – les humains – sommes si peu de choses. J'ai déjà servi de casse-dalle à Ethan et qui sait à combien d'autres membres de son espèce. Sa proposition de me rendre la mémoire m'aide à prendre sur moi, à me sentir plus active, moins spectatrice. Sans m'en rendre compte, j'ai posé ma main contre mon cou. Il me faut savoir !
— Alexandra, m'appelle doucement le jeune homme qui attend une réponse.
— Je... D'accord.
L'idée d'être en partie dépossédée de ma vie me parait insupportable.
Ethan s'approche et plante ses yeux sombres dans les miens. Il parle d'une voix monocorde, mon corps s'engourdit et deux souvenirs me reviennent. Il ne m'a pas croqué qu'une seule fois, mais deux ! Une pure montée d'angoisse semble embraser mon corps depuis les pieds. Mais elle est soufflée par ses intonations avant de prendre racine.
Je m'attendais à avoir des réminiscences vagues, mais au contraire, c'est très clair ! Je me revois en train de ranger les clefs de la pharmacie un soir en hiver, alors qu'il m'appelle. Dans du coton, je le suis jusque dans une petite rue adjacente. Il s'excuse de ne pas avoir eu le temps de discuter plus, sort un couteau de sa poche et m'entaille le côté gauche de la gorge. Puis, tout naturellement, il m'explique qu'il faudra faire plus attention avec les chats errants à l'avenir et s'en va. Mince ! Je me souviens maintenant avoir eu cette « griffure de félin » dans le cou. Avant cet instant, j'aurais pu jurer que ce souvenir était réel... C'est effrayant.
L'autre souvenir est plus festif, c'est une nuit estivale, je n'étais même pas diplômée à l'époque. Comme souvent les soirs de fêtes, je me rendais à l'appartement de mon oncle pour y dormir, c'est là que j'ai croisé ce brun ténébreux aux lèvres fines qui m'offre un sourire désarmant. Il m'a fait la discussion, il m'a dragué et j'ai été réceptive. Je me revois l'embrasser, alors qu'il me traîne dans une ruelle. Il m'a hypnotisé, taillé au même endroit que la fois d'avant, s'est excusé qu'il a encore trop faim pour finir la soirée avec moi et s'en est allé.
— Oh mon dieu, murmuré-je entre gêne et colère.
— Heureusement qu'il existe pas, mais si c'était le cas, tu l'as tellement conjuré que je pense qu'on l'aurait vu se pointer, commente Nathan.
— Alors, on s'était déjà croisés ? demande Ethan sans prêter attention au démon.
— Deux fois, confirmé-je en rougissant en me remémorant le baiser.
— Oh, on a couché ensemble ? s'étonne-t-il après une profonde inspiration.
— Non ! m'écrié-je.
— Ton odeur à presque trahi le contraire, c'est bizarre.
— On s'est embrassés, précisé-je.
— Je me disais aussi ! C'était étrange que ton visage me paraisse si familier sans qu'il ne se soit rien passé. En plus, t'es plutôt mon genre.
— Putain de suceur sans pudeur ! Tu vois pas que tu la rends de plus en plus mal à l'aise ! intervient Nathan.
— Ça c'est parce que le souvenir doit lui être agréable, le nargue-t-il.
Ma vie est surréaliste... J'ai presque envie de découvrir que je suis morte ou dans le coma ! Chaque jour est plus cauchemardesque que le précédent ! Va savoir combien d'autres suceurs ont étanché leur soif à mon cou ! C'est un enfer ! Le pire, c'est qu'il n'a pas menti, dans mes souvenirs, les moments avec lui étaient grisants. L'entaille ne m'a même pas fait mal. Je me sens quand même utilisée. Je suis dans le noir.
Le démon et le vampire se chamaillent un peu, je n'écoute pas tout ce qu'ils se disent, trop perdue dans mes réflexions. Jusqu'à ce qu'une décharge d'angoisse traverse le lien et que je prête attention à ce qui se passe.
— C'est pas possible, souffle Nathan.
— Si, l'information nous vient de Russie, la lune verte, c'est une réaction au fait que les sceaux des bouches des enfers aient cédé.
— Tous ?
— Tous. Les démons sont parmi nous. Il parait qu'ils s'en prennent aux métamorphes dans certains endroits, mais apparemment leur but, c'est les Somnores, les sorcières... C'est dingue, y'a encore quelques semaines, je savais rien, purée... Et maintenant, tout ça, commente Ethan un peu dépassé.
— Pourquoi tu restes pas avec le clan formé par Ice, Briec et V ? demande Nathan, méfiant.
— Parce que les dernières fois où on s'est regroupés on s'est fait abattre comme des pigeons ! Et il est hors de question que je rejoigne ma famille de peur de leur attirer des ennuis, donc j'ai proposé de me rendre utile.
— N-Nathan... qu'est-ce que ça veut dire les bouches des enfers ouvertes ? m'enquiers-je la voix tremblante.
— Un tas d'emmerdes...
Nathan a pris Ethan à part un moment, il voulait lui dire des choses que mon âme ne doit pas savoir. Rien que la formulation de cette phrase m'a donnée des frissons d'angoisses. Un rappel que l'enfer existe que je vais y finir et, qu'apparemment, il s'est déversé sur terre... Misère, ce n'est pas possible. J'espère me réveiller de ce cauchemar.
Bizarrement, Nathan revient seul, il m'informe qu'Ethan est allé se nourrir pour être au top de sa forme et que pendant ce temps, on va préparer nos affaires.
— On va où ?
— Dans l'Hérault, près de La Salvetat. Le Somnore français s'y trouvait à l'époque et j'espère que c'est toujours le cas. Il nous faut nous délier, sinon on va se faire tuer tous les deux !
— Adnan ne viendra vraiment pas ?
— Non, va falloir se contenter du bleu.
— Pourquoi tu l'appelles comme ça ?
— Parce que c'est un vampire qui a pratiquement l'âge qu'il parait avoir ! grimace-t-il.
Cette nouvelle ne m'enchante pas, Ice faisait peur et était rassurant. Ethan semble tout aussi largué que moi dans cet univers.
J'obéis néanmoins, je dispose mes affaires sur mon lit, je n'ai pas de sac, mais Nathan m'a dit qu'Ethan nous en ramènerait. J'aide aussi le démon en cuisine pour préparer des plats, parce que le vampire met vraiment beaucoup de temps à revenir, des heures où je suis bien contente d'avoir de quoi m'occuper.
— T'es parti jusqu'où prendre des forces ! l'apostrophe Nathan quand il entre.
— On a convenu que je me mettrai au meilleur de mes capacités ! réplique Ethan avec hargne. Tu as idée de combien de gens il me faut trouver !
— Non et je m'en fous.
— Moi, j'aimerais savoir, dis-je d'une petite voix.
Ethan me tend un sac pour le voyage et m'offre un sourire presque grimaçant.
— Par jour, si on veut être vraiment au top, il nous faut approximativement vingt-cinq litres de sang. À l'époque où ma race tuait les humains, c'était environ six personnes par jours. Alors comme je n'assassine personne et que je prélève peu, j'ai dû trouver une trentaine de repas.
La mâchoire m'en tombe. C'est énorme.
— Tu dois faire que pisser, dis-je bêtement.
— Même pas ! répond Ethan en éclatant de rire.
Alors qu'il rigole toujours, il esquive et rattrape le couteau que lui a lancé Nathan qui est dans son dos.
— Arrête de faire du charme et aide-moi à ranger !
— Je pensais que tu voulais seulement voir si j'étais en forme, répond le vampire qui ne semble pas ému d'avoir été attaqué.
— Non, j'espérais réellement te toucher, réplique Nathan avec sérieux.
Ethan lui apporte le sac et commence à le remplir sans se séparer de son sourire. Quant à moi, je vais faire de même dans ma chambre. Je crois que je n'arrive pas à réaliser. Impossible de savoir de quoi avoir peur ou de quoi être choquée. Je suis le mouvement, en espérant que cette histoire ne me concerne plus dans de brefs délais.
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Ne Jamais Dire Jamais
ParanormalQuand le chemin d'Alexandra croise celui de Nathan, les choses se compliquent pour tous les deux. Alexandra n'est qu'une simple préparatrice en pharmacie qui aime passer du bon temps avec ses amis. Nathan cache sa nature démoniaque pour espérer viv...