Ne Jamais Dire Jamais

29 : Alexandra

J'ai la nausée et les yeux fermés à m'en faire mal pour ne pas voir le paysage qui défile à une vitesse hors norme. Ethan m'a chargé comme un vulgaire sac à patates et il a foncé, tout droit. Une telle célérité étouffe les bruits alentour, je ne sens que l'air nous fouetter, alors qu'avec une agilité impossible, le vampire saute par-dessus des ruisseaux, des arbres, d'énormes rochers, j'ai regardé quelques secondes, mais c'était beaucoup trop flippant. La pente est de plus en plus aiguë et il ne ralentit pas, j'ai l'impression que je vais tomber. Je suis tellement terrifiée que je n'arrive pas à crier.

Hébétée, je n'ai pas compris ce qui se passait. Nathan était angoissé, j'ai voulu le rejoindre, Ethan m'en a empêché, alors à force de me confronter à sa force inhumaine, j'ai appelé le démon. La seconde d'après, Ethan me chargeait sur son épaule et nous étions partis.

De justesse, je retiens le contenu de mon estomac, mais mon corps est au supplice, ainsi ballotée.

Après ce qui m'a paru durer... beaucoup trop longtemps, Ethan s'arrête. Il est à bout de souffle.

— Putain, on est toujours suivis, halète-t-il avant de recommencer sa course folle.

Sauf qu'il stoppe sa progression à nouveau rapidement. La tête me tourne.

— Qu'est-ce qui se passe ? le questionné-je la gorge nouée.

Ma peur, celle de Nathan, en plus de sa douleur, me submergent et se manifestent par un élan de panique.

— Nathan a fait une mauvaise rencontre et nous a demandé de fuir, on a été pris en chasse par deux types. L'un a vite renoncé, l'autre non. Puis, j'ai entendu deux mecs échanger, sauf que l'une des voix, je ne l'avais pas perçu au début. Ce qui veut dire qu'ils sont au moins trois. Bref, continue à avancer, je te rattrape, m'explique Ethan avec empressement.

— Q-q...

Je n'ai pas le temps de parler qu'Ethan se jette sur moi, il me coupe le souffle en me précipitant en travers son épaule et il repart. Perplexe, effrayée, je ne comprends rien, l'instant d'avant il m'invitait à marcher. Surtout qu'au final, il s'arrête alors que nous n'avons pas trop avancé dans la vallée.

— Cours, je vais essayer de retenir celui qui arrive... Il vole. Alors donne tout ce que tu as.

Ethan a changé de visage, outre l'effort qu'il a fourni et lui a rosi les joues, ses yeux noirs reflètent une détermination, loin de la nonchalance qu'il a affichée à son arrivée à Perpignan.

— Allez ! Court ! déclare-t-il en me poussant.

J'obéis, mais c'est parce que j'ai croisé son regard. Je crois qu'il m'a contraint à fuir et pour la première fois, je suis contente qu'un des vampires me force. Mon corps était paralysé et mon esprit complètement englué. Nathan a essuyé quelques coups. J'ai peur. Cette traque. Tout ça. Mon Dieu ! Mes pensées sont décousues, alors que mes pieds finissent par rencontrer le goudron d'une route. Mes foulées se font moins périlleuses, je prends confiance et accélère. Je n'aurais pas dû, car dans mon empressement, je me mélange les pinceaux et tombe contre le bitume.

Toujours au sol, un bruit dans mon dos me fait me retourner. Un grand oiseau, dont la forme est floue dans le noir semble me fondre dessus. Ça n'a pas de sens. Je cligne des paupières et remarque qu'en plus d'immenses ailes dorées, la créature est humaine. Oh merde ! Mais qu'est-ce que c'est que ce machin ? Je vais me réveiller. Pitié !

Des larmes noient mes joues et, alors que l'impact parait imminent, je les clos. Mais rien. Sur mon corps du moins, car une puissante bourrasque m'a balayé et elle a été suivie d'un grognement étouffé.

J'ouvre les yeux et éberluée, je m'aperçois qu'Ethan a intercepté le type emplumé. L'inconnu roux descendu du ciel évite une attaque du vampire et prend le temps de tourner la tête vers moi. Son regard luit dans la nuit, pas comme celui d'un chat, non, de la lumière émaner de ses iris. Comment c'est possible !

Ethan se fait violemment projeter et échoue près de moi.

— Fuit. Un autre arrive à pied ! Court !

Le visage de mon allié me terrifie autant que l'homme des cieux, des canines dépassent de ses lèvres et je l'ai entendu grogner. Je ne demande pas mon reste, je me ramasse sur moi-même et m'élance.

En pure perte, avec ses grandes ailes le rouquin me barre le passage. Les choses se passent vite à ce moment-là. Rapide comme une ombre, Ethan semble lui aussi tomber du ciel et atterrit après une pirouette dans le dos de son adversaire. Une giclée d'hémoglobine repeint mon visage et il me faut me concentrer pour que la scène à laquelle je viens d'assister prenne sens.

Armé d'un couteau, Ethan a tranché une partie du cou de son opposant.

Incrédule, le rouquin exprime une surprise presque comique. Ethan n'attend pas qu'il réagisse, il a libéré sa lame et s'est jeté tous crocs dehors sur la plaie, alors que dans un même temps il plante son acier dans la cage thoracique de celui qui est devenu sa proie.

L'homme ailé décolle pour se dégager. Il peine, mais malgré tout, il atteint plusieurs dizaines de mètres avant qu'Ethan ne replonge son arme, mais cette fois-ci au milieu de la gorge. Le tout sans lâcher la carotide. Je ne vois pas très bien, mais j'entends ses aspirations empressées. C'est l'élément de trop, je vomis.

A quatre pattes, je rends tous mes repas sur au moins une semaine entière. Les spasmes sont violents, mon corps tremble, mes muscles tétanisent. Je relève la tête, pour tenter de respirer au milieu de tout ce qui demande à sortir et c'est à ce moment précis, où exsangue l'homme ailé s'écrase au sol. Ethan s'est dégagé avant. Même si le roux ne bouge presque plus et se contente de gémir piteusement à cause du chantier qu'est devenue sa gorge, Ethan se jette sur lui. Sans sommation, il lui retourne violemment la tête dans un craquement qui réactive mon ventre qui offre une nouvelle salve au bitume.

— Il est increvable ! s'énerve le vampire.

Tremblante devant tant de barbarie, je reste spectatrice, alors qu'Ethan tel un fou, plante un nombre incalculable de fois son couteau dans le cœur de sa victime. Peu de sang jaillit de la plaie, mais Ethan en avait déjà le visage maculé.

— Enfin ! déclare-t-il en contemplant sa boucherie.

Le corps inanimé me captive d'une façon malsaine. Mon organisme me semble vide de toute énergie et je demeure tout aussi immobile que le mort. Puis, m'obligeant à sortir de ma torpeur, il se met à ondoyer avant de disparaitre en un tas de cendre rougeoyant.

— Oh macarel ! s'exclame Ethan. C'est n'importe quoi.

Il a à peine terminé sa phrase qu'il relève la tête pour la braquer en direction de là où nous venons.

— Vient ! invite-t-il le vide.

Il continue à provoquer je ne sais pas quoi, il m'effraie. La nuit est sombre depuis que des nuages ont voilé le ciel, je ne sais pas à qui il s'adresse.

— C'est ça, casse-toi !

— Ethan... murmuré-je peu sûre de moi.

— Le second qui nous chassait à fait demi-tour. Mais il nous faut partir. Si tu as besoin de nouveau de vomir, c'est maintenant ou jamais, car je n'ai pas envie d'être baptisé.

Je n'ai pas la force de répondre. Je ne comprends rien. Qui était ce mec ? Ethan a parlé de démon, mais cet homme avec des ailes ne ressemblait pas à ce que j'appellerais un démon.

Sans avoir la force de parler, je finis par faire signe à Ethan que nous pouvons partir. Il m'entraîne à nouveau dans une course folle. Pendant ce temps, toujours les yeux fermés, je vis la douleur de Nathan qui se fait frapper avec une force démentielle, je peine à retenir des cris.

Cette nuit est un cauchemar.