Ne Jamais Dire Jamais

36 : Nathan

Les montagnes du contrefort du Massif central m'accompagnent alors que je me rapproche de ma destination. Je ne suis pas plus avancé qu'en partant, je ne suis même pas sûr de croire vraiment cette Kveta. En fait, je suis incapable d'accepter que Lex et moi soyons liés pour toujours, je n'ai pas pensé à demander ce qui se passerait pour son âme, mais je crois que je ne veux pas le savoir. Mon seul réconfort dans tout ça, c'est que j'ai déjà été capable de me couper de Lex et qu'à priori j'ai du temps pour apprendre à le faire. La joie... Tu parles d'une compensation !

Mon chauffeur déblatère des cancans, il ne fait que ça depuis la Suisse, je le laisse faire en grognant de temps en temps pour donner le change. J'ai eu un mal fou à revenir de la République Tchèque, chaque jour qui passe, le monde sombre de plus en plus dans la paranoïa. C'est à un point tel que je ne serais pas étonné si les frontières françaises finissaient par fermer. Nos voisins comprennent que le chaos sévit moins au pays de la baguette et du béret, et les gens veulent se mettre à l'abri.

Au départ, c'était surtout les territoires sans Somnore qui en ont le plus pâti des violences, le continent américain a été l'exemple le plus criant. Mais ce n'est plus le cas maintenant, il y a eu de l'agitation magique, je n'ai pas pu comprendre exactement de quoi il retournait, sauf que le résultat est visible, les démons se cachent de moins en moins et les humains ont peur.

L'opinion publique n'a pas encore les mots, mais ce n'est plus qu'une question de temps avant que les tabous sur ce qu'un cerveau humain trouve de rationnel ne sautent. Je prédis un carnage à venir. Les démons peuvent être fier d'eux. Le monde va devenir pire que l'enfer, c'est un tour de force.

— Oh merde ! s'écrie mon chauffeur en faisant un écart et en pilant.

Le souffle coupé par la ceinture de sécurité, je mets une seconde à reprendre mes esprits et à relever la tête. Le spectacle qui s'offre à moi me glace le sang.

Des ailes dorées, une tignasse rousse et un sourire revanchard.

Zavebe.

Mon chauffeur s'est pissé dessus, l'odeur d'urine emplit l'habitacle et je crois que son cerveau a grillé, il bredouille des choses incompréhensibles.

Les yeux rivés dans les iris brillants de mon adversaire, je bouge doucement ma paume vers mon téléphone et je le broie. La douleur dans ma paume est vive, je me plante des débris dans les doigts, mais heureusement la batterie n'a pas explosé. Il est hors de question que ce connard de déchu mette la main sur des infos sur Lex. Je sais que moi je ne lui cracherais rien, mais mon téléphone savait trop de choses. C'est déjà un miracle que la dernière fois ils m'aient sous-estimé en ne prévoyant pas que je pouvais leur échapper, je doute qu'ils refassent l'erreur.

L'ange – les ailes disparues – s'approche de la porte et l'ouvre en forçant un peu à cause de la fermeture automatique.

— Viens !

Vaincu, j'obéis. Mes doigts laissent goutter du sang sur mon trajet. Zavebe m'amène sur le bas-côté, saute la glissière et ne prend même pas la peine de regarder si je le suis. J'aurais dû attendre avant de péter mon mobile pour au moins avertir le bleu de bouger Lex... Tant pis, c'était trop risqué.

— Je savais qu'à force de faire des rondes dans le coin, je mettrais la main sur toi, se congratule le rouquin.

— Tu as eu simplement de la chance.

— Ça m'étonnerait, tu n'étais pas là par hasard la première fois. Ce qui me surprend, c'est que l'autre connard de suceur ne soit pas avec toi. Ni l'humaine...

— T'as failli buter mon chauffeur d'une crise cardiaque pour m'exposer tes théories à la noix ? attaqué-je en arrêtant de marcher.

Zavebe se retourne, l'éclat doré de ses yeux me crispe, il me fait immanquablement penser à Asmodée. L'idée qu'il apprenne où je suis me terrifie, il est puissant, c'est l'un des huit sous-princes des enfers. S'il parvient à me coincer quelque part – même sur terre – je serais fait comme un rat. Il pourrait me torturer à sa guise pour une éternité. Il n'aurait pas à s'inquiéter de juguler ma puissance, puisque tant que je n'aurais personne à tuer sous la main, je resterais faible...