15 : Alexandra

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Nathan m'a secourue. Il est encore plus charismatique que dans mes souvenirs. Benz qui m'avait toujours impressionné est passé pour une petite merde à côté. Mais je crains le retour de flamme. Et je regrette de m'être entêtée à ne pas savoir dans quoi il trempe au juste. Je ne suis pas très au courant des organisations des vendeurs de drogues. Sauf que j'imagine qu'un mec qui a autant la bougeotte que lui a forcément une place importante. Dans les reportages à la télé les trafiquants ont toujours un petit repère, un quartier, ils ne courent pas toute la France d'une frontière à une autre. Narbonne ce n'est pas Marseille, je ne pense pas avoir déjà lu d'articles parlant de règlement de compte, mais je le vois mal laisser passer la blessure que Nathan lui a faite.

Je regarde le dos de mon sauveur, il ne semble pas crispé ou préoccupé. Il n'a pas dû réaliser quand je lui ai expliqué qui était le connard qui s'en prenait à moi. Ou alors je devrais m'inquiéter que ça n'ait pas l'air de le travailler. Après tout, il est taillé comme un gladiateur et il a réussi à péter le bras de Lucien avec une seule main. Le bruit était écœurant. Benz était livide avant de virer au rouge de rage. Je suis un brin paranoïaque, mais j'en viens à me demander si la présence de Nathan était fortuite ou non. Peut-être que lui aussi est un mec louche et qu'il trempe dans je ne sais quelle merde. Benz est peut-être un de ses concurrents.

Les turpitudes de mon esprit sont interrompues par le puissant vrombissement d'une moto qui nous rejoint à toute allure. Elle est bleu glacier assortie aux couleurs de son propriétaire. Quand ce dernier descend de son bolide et enlève son casque, je suis stupéfaite. C'est le mec le plus flippant que je n'ai jamais vu. Il a les cheveux blancs, la peau pâle comme la mort, des yeux d'un bleu si clair qu'ils paraissent gris. Les traits de son visage sont fins, presque androgynes, mais un petit rictus sadique ourle ses lèvres cassant toute la douceur qui aurait pu exister. Je ne vois pas un tel homme médecin, je ne sais pas pourquoi, mais je l'imagine plus aisément dans un corps militaire. Un métier plus physique, même si je reconnais qu'il ne semble pas particulièrement musclé. Ou alors, je le trouve si peu épais parce qu'à côté de Nathan une minorité de personnes tiendraient la comparaison.

— Te voilà enfin ! s'exclame Nathan. Tu aurais pu dénicher une voiture pour venir.

— Pas de reproches, j'ai fait vite, c'est déjà pas mal.

Et sans que je n'aie le temps de me présenter, le nouvel arrivant se plante devant moi. Ses yeux capturent les miens. Je me sens privée de toute volonté, mes pensées s'éteignent, mon envie de protester me quitte. Tout devient du coton.

— Alexandra, tu vas être gentille et éviter les questions. Nous allons partir tous les trois prendre des vacances loin de tout. Tu n'opposeras aucune résistance. Tu me donneras ton téléphone, tes clefs, ton portefeuille et tu nous suivras sans objection. Nous ne te ferons pas de mal. Tu as bien compris ?

— Oui.

Je tends mes affaires à l'inconnu et je patiente.

— Maintenant qu'elle ne risque plus de se barrer. Je vais aller m'occuper de trouver une voiture et mettre ma moto en sécurité. Reste là.

— T'es sérieux ! J'en ai ras le cul d'attendre, Ice.

— Nat' n'exagère pas. Je dois tout me taper parce que tu ne peux pas prendre le risque de conduire et que tu n'as pas mon don de contrôle mental. Donc tu ne vas pas commencer à me chercher.

— Ouais, je suis à cran.

— Je sais. Je reviens vite.

Le mec repart sur sa moto. Nathan me regarde. Il me fixe de façon désagréable. Je me sens sonnée, comme ivre. Le monde me semble lent, mes membres pèsent lourd. J'ai du mal à comprendre ce qui se passe, mon cerveau refuse de réfléchir, alors qu'au fond de moi je sais qu'il y a quelque chose de bizarre.

— Bordel, que c'est désagréable de ressentir ta confusion, Alexandra. Détends-toi, tu veux ? C'est autant pour ton bien que pour le mien qu'on en est là.

J'entends Nathan, mais je ne saisis pas le sens de ses mots. Il y a un verrou dans ma tête qui enferme ma raison.

— Putain, j'aurais dû demander à Adnan de te donner des instructions plus larges. Te sentir sereine aurait été bien plus agréable pour moi.

Je ne comprends pas pourquoi il se fait du souci pour mon bien-être. Par gentillesse peut-être, ce serait adorable.

Le temps s'égrène lentement, j'ai vraiment le sentiment de rester des plombes sur le trottoir à contempler Nathan quand enfin Adnan revient. Ses iris capturent à nouveau les miens et je monte dans le véhicule sans même avoir donné l'ordre à mon corps.

Le paysage défile. Installée à l'arrière du 4X4 noir, je regarde dehors sans vraiment voir, pendant que les deux hommes parlent à l'avant. Nous quittons Narbonne par l'A9 direction Perpignan. Je joue distraitement avec ma ceinture de sécurité. La torpeur qui m'habitait s'estompe petit à petit, je me sens moins embrumée et quand nous laissons l'autoroute pour nous rendre dans les terres loin de la ville, je me risque à demander :

— Où on va ?

— Dans un lieu abrité, répond le chauffeur.

— Se protéger de Benz ?

Adnan échange un regard avec Nathan.

— Apparemment c'est un de ses exs, un dealer qui ne veut pas qu'elle aille parler aux flics. Rien d'important. D'ailleurs si tu pouvais trouver des médocs ou quelque chose pour qu'elle arrête d'avoir mal au bras, ça m'arrangerait. J'en ai ma claque de ressentir la douleur en plus de son égarement.

La peur me gagne petit à petit à l'idée de Benz voulant se venger. Je recommence à prendre le dessus sur mes émotions et je réalise la situation critique dans laquelle je me trouve. Je suis avec deux hommes que je ne connais pas, qui, d'une façon ou d'une autre, ont réussi à me droguer pour que je les suive docilement.

La voiture freine à un rond-point pour laisser passer un peloton de cyclistes du dimanche. C'est ma chance.

Je saisis la poignée pour essayer de m'enfuir, mais elle ne s'ouvre pas.

— Sécurité enfant, claironne Adnan. Ça va aller Alexandra. Arrête de t'acharner sur la portière on est presque au but de toute façon.

Je panique, je me détache prête à détaller, ou à sauter sur le chauffeur en espérant qu'en ayant un accident des gens préviennent la police et que je sois retrouvée. Je n'arrive pas à comprendre comment j'ai pu me séparer de mon téléphone. La situation m'échappe complètement.

Nathan qui semble passablement énervé se libère de sa ceinture et avec moins de difficulté que j'en aurais eue, se glisse entre les deux sièges pour se rendre à l'arrière.

— Calme-toi, ne prends pas de risques, il ne faut pas que tu meures.

— Tu veux dire pas de suite ? Vous allez me faire quoi ?

Ma voix se brise, je panique en imaginant tous les sévices qu'ils peuvent me faire.

— Bordel, Ice ton pouvoir est merdique sans déconner ! Tu pouvais pas faire en sorte que ça tienne plus longtemps !

— Ça a tenu plus longtemps que j'espérais. Je peux contraindre et embrouiller les idées des humains, mais ils ne peuvent pas aller indéfiniment contre leur bon sens. Plus je leur demande des choses risquées pour eux, moins ils sont réceptifs.

Nathan s'approche de moi, je suis tellement tétanisée que je me mets en boule contre la portière et que je ne bouge plus jusqu'à l'arrêt du véhicule. Je suis forcément en plein cauchemar, la situation est horrible et en plus je ne comprends pas tout ce qu'ils se disent, ça prouve peut-être que ce n'est pas réel. Je le souhaite fort, tout en sachant que je me voile la face pour ne pas endurer de suite la réalité.

Ne Jamais Dire JamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant