— Yoni ?
Raphaël ouvrit la porte de la chambre qu’il partageait avant avec son frère. Il avait l’impression que c’était il y a une éternité alors que Yoni n’était parti que depuis six mois. Mais il avait tellement changé. Il était devenu tellement distant.
Tellement snob, avait dit Aaron.
Ce mercredi midi, Raphaël découvrit Yoni allongé sur son lit, habillé et profondément endormi. Le MacBook que lui avait offert Nathan pour ses dix-huit ans était posé par terre au pied du lit. Raphaël referma la porte. Il ignorait que Yoni avait tellement de sommeil en retard qu’il aurait pu passer toute la semaine à dormir. Il ignorait aussi qu'à défaut de préparer un examen, Yoni se préparait à passer Noël avec toute la famille paternelle d’Eva.
Il avait passé la matinée à apprendre les règles de bienséance à la française. Les couverts. L’ordre des plats. Ce qu’il faut dire ou ne pas dire. Il ne voulait plus jamais ressentir ce détestable sentiment de ne pas être à sa place, de faire tâche.
Et surtout, il ne voulait pas décevoir Eva.
Leur histoire n’était plus une amourette de lycée. Ils étaient à l’université, vivaient ensemble. Yoni devait être à la hauteur, sur tous les plans.
Raphaël referma la porte. Il voulait proposer à Yoni d’aller jouer au foot avec lui, mais son frère n’avait visiblement pas l’énergie pour ça. Raphaël ne se souvenait plus de quand il avait joué au foot avec Yoni pour la dernière fois. Il ne se souvenait plus non plus de la dernière vraie conversation qu’il avait eue avec lui.
Depuis qu’il était arrivé, Yoni se contentait de répondre aux questions par monosyllabe. Oui. Non. La phrase la plus longue qu’il prononçait était “ça ira”.
Ca ira Alfred.
Tout en mangeant les restes de tchaktchouka de la veille, Raphaël se demandait pourquoi son père ne disait rien au sujet du comportement de Yoni. Lui aussi devait se rendre compte que ça rendait leur mère triste et désemparée que son propre fils la traite comme une étrangère. Avec cette politesse obséquieuse et glacée.
Ca ira merci.
***
Shira sourit. Raphaël venait de la prévenir que leur nouvelle vidéo était en ligne. Leur chaine Youtube ne cessait de progresser.
Les films de Noël.
La vidéo s’ouvrait sur un adorable village aux maisons aussi mignonne que si elles avaient été faites en pain d’épice. Sous la neige évidemment.
Oh oh oh
Puis Diego, un bonnet de père Noël sur la tête, posait la question fatidique.
Est-ce que vous connaissez les films de Noël ?
Raphaël enchaînait.
Déjà pour le titre les mecs se foulent pas. Il suffit qu’il y est Noël dedans ça passe.
Une famille pour Noël. Le chiot de Noël. L’arbre de la forêt de Noël.
Puis Dylan.
C’est guimauve, c’est mignon, c’est familial. Ça parle de partage, d’amour, de magie de Noël. Mais ça donnerait quoi si on faisait des crossovers ?
Il faut sauver le Noël du soldat Ryan ? Apocalypse Noël ? Un Noël à la tronçonneuse ? Un scalp de nazi pour Noël ?
A nouveau Diego. Shira était toujours impressionnée par le montage de leurs vidéos. Le résultat faisait toujours très pro. Diego y passait des heures.
