Yoni portait une chemise blanche impeccablement repassée par les soins de Mariette, l’employée de maison. Avec l’aide d’Eva, il avait finalement trouvé l’office. Une pièce qui servait à la fois de bureau pour Mariette et de garde-manger. Aucun membre de la famille de Yoni n’avait une pièce comme ça chez lui.
Aucun membre de la famille de Yoni n’avait d’employée de maison ni de vignoble dans le Bordelais.
En attendant l’apéritif, Yoni s’était installé sur le canapé avec un livre trouvé dans la bibliothèque. Il avait découvert qu’ici, allumer la télé pour zapper d’une chaîne à l’autre ne se faisait pas. L’écran plat du salon télé, entre la salle à manger et le jardin d’hiver n’était allumée que pour regarder les informations ou une émission ayant reçu au moins deux “T” par les critiques de cette vénérable institution qu’était Télérama.
Zapper, ça fait populaire.
Yoni n’avait pas osé demandé si ouvrir un livre, lire quelques pages, le fermer et en prendre un autre, ça faisait populaire aussi.
Quid du zapping littéraire ?
Mais Yoni était bien trop stressé pour se concentrer sur Gargantua. Les mots de Rabelais dansaient devant ses yeux sans parvenir à faire sens. Yoni referma le livre et se leva du canapé. Fit quelques pas dans le luxueux salon en essayant de se souvenir de toutes les bonnes manières qu’il avait apprises. Des codes de l’aristocratie.
Il se retrouva sans trop s’en rendre compte face à la crèche. Des santons représentant Jésus, Marie, Joseph, le chameau, l’âne et toute la clique dans une étable à Bethléem. Sous la neige.
Il n’entendit pas Blanche de Boissac arriver dans son dos.
— C’est beau, n’est-ce pas, Yuri ?
Il sursauta. La grand-mère d’Eva souriait. Il répondit oui du bout des lèvres
— Pourriez-vous me rendre un service demain matin, mon petit Yuri ?
Il n’y avait qu’une seule réponse possible à cette question.
— Vous rapprocherez les rois mages, n’oubliez pas, mon petit Yuri.
Yoni n’avait aucune idée de quoi elle parlait avant que son regard ne se pose sur trois santons posés hors de l’étables représentant trois hommes, dont un noir.
Aaron aurait dit que c’était pour les quotas.
— Connaissez-vous leurs noms ? demanda Blanche de Boissac.
— Melchior, Balthazar et… Gaspard, proposa Yoni sans trop y croire.
Blanche de Boissac afficha un sourire de missionnaire qui vient de découvrir que les sauvages étaient moins cons qu’elle ne l’aurait penser.
— Très bien, mon petit Yuri. Très bien.
Yoni ne pouvait décemment pas avouer qu’il connaissaient leurs noms car le film “Les Rois Mages” de Didier Bourdon était l’un des préférés d’Aaron et qu’il avait dû leur imposer le visionnage de ce DVD un nombre incalculable de fois depuis qu’ils étaient petits.
Melchior, Balthazar et Gaspard…
***
— Trop trop hâte d’ouvrir mes cadeaux.
Évidemment, il fallait que Nélia soit au téléphone avec Théotim. Évidemment, il fallait que Nélia hurle au téléphone avec Théotim. Elle l’avait appelé dès qu’elle avait posé un pied sur le goudron humide du parking de l’immeuble de leurs cousins, à Villejuif, en banlieue parisienne.