5. Le kidnapping

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[Narration : Lucie]

À seize heures, je me rendis avec appréhension dans le local du club de mécanique de Nintaï. Je ne pouvais pas patienter jusqu'au soir pour parler à Kensei.

Lorsque j'arrivai dans le club les jambes tremblantes, je fus surprise de constater l'attitude des membres. Ils me saluèrent ou s'écartèrent pour me laisser passer. Quelques jeunes de première année me pointèrent du doigt en chuchotant entre eux. Tous les étudiants de Nintaï savaient qui j'étais, quelle était ma fonction dans l'établissement et où ils pouvaient venir me trouver. Mais il était vrai que je ne venais jamais rendre visite à Kensei ici. Débarquer dans son local revenait à le déranger dans son rôle de président du club de mécanique.

Aussitôt qu'il me vit, Kensei s'empressa de venir à ma rencontre, le visage tendu.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? s'enquit-il, inquiet, les sourcils froncés. Il s'est passé quelque chose ?

— Je viens te voir pour... Tu sais quoi. Je ne pouvais pas attendre. »

Je le vis très distinctement déglutir en lorgnant mon pendentif. Les traits crispés, il hocha la tête et se tourna vers Mukai, son cadet favori, à qui il confia quelques directives en son absence. Il le gratifia d'une tape sur l'épaule. Puis, toujours en évitant de me toucher, Kensei m'entraîna à l'extérieur.

Il referma la porte du club derrière lui, fit quelques pas dans l'arrière-cour et sortit un paquet de Marlboro de la poche de sa veste. Sans me regarder ou m'adresser un mot, il scruta l'intérieur du paquet pour compter ses cigarettes et en saisit une au creux de ses lèvres. Après quoi il s'adossa au mur tagué. Je jetai un coup d'œil circulaire alentour pour m'assurer que personne ne nous espionne – Shôji, par exemple.

« J'ai mis les choses au clair avec Minoru, énonçai-je.

Alors qu'il évitait mes yeux jusqu'à présent, Kensei braqua sur moi un regard inquisiteur, comme s'il s'attendait à devoir réagir à une nouvelle grave. Ses yeux en amande me toisèrent.

Je tendis la main pour l'empêcher de fumer mais il l'intercepta par réflexe avant qu'elle n'atteigne son visage. Son geste fut si vif que je sursautai. Au moins, il avait initié un contact physique.

— Doucement, je ne suis pas ton ennemie, grommelai-je.

— Tu t'es coupé le doigt ? 

Il l'avait immobilisé en l'air comme s'il s'agissait d'un serpent qui aurait pu le mordre au visage.

— Oui, ce n'est rien. Ne change pas de sujet...

Kensei lâcha ma main. En observant bien son expression, il était épouvanté.

— Ce n'est qu'une petite coupure. Si tu savais de quoi je cauchemardais...

Son visage pâlit encore et il se détacha complètement du mur.

— Tu n'as pas voulu m'en dire plus sur ton carnet de rêves mais je peux comprendre que tu n'aies pas envie d'expliquer tes cauchemars.

— Peu importe. Tu ne peux pas t'empêcher de fumer quand je te parle ?

Kensei secoua la tête.

— Ça me détend.

Enfin, il reprit contenance.

Mais qu'avait-il aujourd'hui ? Ses réactions étaient plus imprévisibles et mystérieuses que d'accoutumée.

Il carra les épaules, recula et déclara qu'il attendait ma réponse.

Prenant le risque qu'il se mette en colère, je lui ôtai sa cigarette de la bouche, le maintins par la nuque et l'embrassai. Pas un petit baiser sur le bout des lèvres mais un vrai comme ceux que je lui réservais lorsque son futon ou mon lit étaient à proximité.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant