35. Le Philosophe

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[Narration : Lucie]

Nous n'avions pas déambulé longtemps dans le parc. La lumière du soir commençait à peine à remplacer les rayons cuisants du soleil. Au bout de dix minutes, nous nous étions assis sur un banc.

« C'était une bonne idée après tout, de sortir. Merci, soupirai-je en regardant droit devant moi.

— J'avais aussi envie de prendre l'air. Avec cette chaleur, je suis resté chez moi toute la journée.

— Ça fait longtemps que je voulais te poser une question.

— Je t'en prie.

Je tournai la tête vers Jun, un peu indécise.

— Tu n'as jamais clairement répondu. Pourquoi, alors que tu pouvais être transféré dans un bon lycée, tu as choisi Nintaï ?

Il leva la tête vers le ciel et prit son temps pour répondre. Après un moment de silence, il parla d'un ton lisse.

— Je ne me suis jamais senti à l'aise dans un établissement normal. Mais pour défier mon père égoïste qui nous a tous fait déménager à cause de son travail, j'ai choisi le lycée le moins réputé des environs.

— Juste pour l'énerver ?

— Oui. Il n'aurait pas dû plier face aux yakuzas.

À l'entendre, la tristesse m'envahit. Jun se reprit presque aussitôt. Il parla à voix basse mais de façon distincte :

— Désolé. Je n'aurais peut-être pas dû dire ça. Mais c'est ce que je pense.

Je ne pus faire autrement que hocher la tête.

— Être à Nintaï pour ma dernière année ne m'empêchera pas d'intégrer une bonne école, ajouta-t-il d'une voix ferme.

— Tu es sûr ?

— Je me débrouillerai. J'ai aussi de l'argent de côté.

— Tu as un point commun avec Reiji et Yuito : silencieux mais avec de la suite dans les idées.

Il parut étonné et acquiesça.

— Pardon Jun mais j'ai l'impression que tu es une sorte de passif révolté. Peut-être que je me trompe.

Il soupira et replaça lentement une mèche de cheveux derrière son oreille. Ses mains étaient blanches, aux doigts longs et fins. Des mains d'aristocrate.

— C'est vrai. Je n'ai pas été facile à élever. Je m'opposais systématiquement aux règles mais j'ai appris que le seul moyen vraiment efficace et durable de les détruire était d'y obéir, comprendre comment elles avaient été mises en place et pourquoi on devait s'y soumettre. À force de les analyser, j'ai compris que certaines règles étaient disons... Nécessaires.

Il tourna son visage blanc vers moi :

— Par contre, il y en certaines qui ne servent que des intérêts particuliers au détriment de la liberté de ceux qui obéissent en croyant construire quelque chose de beau. Ces règles-là, je veux m'en détacher. Dans une certaine mesure, j'ai réussi.

— Par exemple, en intégrant Nintaï alors que tu convoites l'entrée dans une grande université. C'est ça ?

Il acquiesça.

— C'est un pari risqué mais je veux montrer aux gens qu'il y a plusieurs chemins pour y arriver.

Plus tôt, la présence de Sven m'avait apporté un nouveau souffle. À présent, à mesure que Jun parlait, ma poitrine se décloisonnait. L'air dans le parc était doux et les passants de moins en moins nombreux.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant