[Narration : Lucie]
« Je ne suis pas en colère contre toi, Lucie. Je suis furieux contre ta bande de potes et ton...
Il effleura mon pendentif en forme de lune et rétracta aussitôt sa main.
— Ton copain. Ils savent comment tu es, ils connaissent ta nature curieuse. Mais on dirait qu'ils font exprès de t'empêtrer dans leurs problèmes !
— Ne dis pas ça, c'est faux.
— Ce sont des gens toxiques, m'opposa-t-il franchement.
— Non. Ils sont un peu paumés mais très bien dans leur tête. Sauf un, Daiki. Mais lui, c'est parce qu'il est clairement bêta.
— Les gens sont déjà crétins quand ils sont seuls alors la connerie à plusieurs, je ne sais pas si ça s'additionne ou si ça se multiplie mais en tout cas, ça ne fait pas bon ménage !
Entre deux employées de bureau qui le dévisagèrent de haut en bas en rougissant, Sven s'arrêta au niveau du passage piétonnier et m'étudia d'un air agacé.
— Laisse-moi deviner pour ce Daiki. C'est la came qui l'a rendu idiot et qui a fait de lui une feignasse et de son cerveau un gruyère ?
— Le type a eu une enfance très difficile, éludai-je. Il essaie de s'en sortir.
Le feu passa au vert et on nous pressa derrière pour traverser rapidement la chaussée. Parvenus à l'autre trottoir, je saisis Sven par la manche de son gilet gris perle à motif Jacquard en pure laine Mérinos.
— Ce sont mes problèmes et je ne te demanderai jamais de m'aider à les résoudre. Par contre, t'en parler m'allège. Mais je peux arrêter. Je comprends que...
— Laisse-moi te poser une question : pourquoi tu étudies le droit et la politique, hein ? Parfois je me pose des questions...
— Je me le suis aussi demandé et c'est un nintaïen qui m'a donné la réponse il n'y a pas longtemps, répondis-je en songeant à Jun.
— Ça c'est la meilleure ! Tu l'as vraiment écouté ?
— Tu sais quoi, Sven ? Ta plus grande peur est peut-être d'être corrompu. Tu es trop sévère et trop exigeant avec toi-même, osai-je. Même avec Leandro et moi tu es trop formel, tatillon et distant avec nos interprétations.
Il renifla avec un air de suffisance et reprit sa marche. J'étais toujours accrochée à son gilet.
— Faire attention à une amie chère comme toi me paraît normal, déclara-t-il d'un air de dandy. Je me sens dans mon bon droit.
Dans les situations conflictuelles, Sven réagissait par l'inertie. Il tirait sa force de sa patience tenace et de son impassibilité entêtée, sans jamais céder.
Face à mon impulsivité, il gagnait souvent.
— Viens prendre le thé à la bijouterie, suggéra-t-il. Nous pourrons discuter plus tranquillement. Si tu en as le temps... »
J'acceptai en lâchant son gilet que je risquais de détendre – Maeda, sa mère, me tuerait. Sven était encore gentil de ne pas s'être emporté et de m'inviter à passer à la bijouterie goûter à l'un de ses thés coûteux.
Mon impétuosité entraînait parfois des ruptures avec mon entourage. Au cours de l'année écoulée, j'avais perdu beaucoup de mes prétendus amis Français. Peut-être que tout simplement nos liens d'amitié n'avaient pas été aussi puissants que je l'avais espéré. Paradoxalement pour une vie au Japon, ces relations n'avaient cependant jamais revêtu une intensité aussi forte que celles que j'avais créées depuis mon arrivée dans ce pays.
*
Comme chaque fois que quelque chose coinçait dans ma vie, je m'expédiais ailleurs. Plus exactement, je prenais la fuite. De cette façon, j'espérais prendre du recul par rapport à la situation et revenir à mes problèmes avec des solutions.
Le temps d'un week-end, je pris le train avec Leandro en direction de Tokyo. Lors de ma précédente escapade, je m'étais nourrie de l'ambiance de la capitale et de quelques-uns de ses plus fameux quartiers. Cette fois, je descendis non à Tokyo mais à Yokohama.
Étant arrivés le soir, nous explorâmes immédiatement Minato Mirai, le Port de l'avenir. Longeant la mer, cette zone urbaine était le centre de nombreuses activités, centres commerciaux, hôtels, restaurants, musées, centres de beauté et parcs d'attractions tel que Cosmo World. Nous grimpâmes dans la grande roue – accessoirement la plus grande horloge du monde – pour profiter d'une superbe vue sur la ville illuminée. Là, Leandro me fit relativiser mon passage chez les yakuzas. Il savait lui, que la Camorra utilisait des moyens bien plus coercitifs et dissuasifs que quelques coups dans l'estomac et des entailles.
Ces deux jours passés avec Leandro me firent momentanément oublier mes angoisses de menaces d'agression. Où que nous allions, mon ami Italien me faisait rire, commentant tous ce que qui heurtait son œil d'artiste, à commencer par les styles vestimentaires. Ses critiques ardentes insufflaient en moi un peu de chaleur.
« Non mais, tu as vu ces touristes Chinois ? On dirait qu'ils se sont déguisés en Japonais !
— Disons qu'assortir du rose avec du rouge, c'est limite, approuvais-je.
— Je ne me suis toujours pas remis de la combinaison du bleu marine et du noir ! Non mais et cette femme là-bas... Oh ! Non, non, non et non ! soupira Leandro. Ça ne va pas du tout ! Un cardigan, une mini-jupe et des bottes en caoutchouc... Je n'ai jamais vu ça ! C'est un crime !
— Elles devraient te demander conseil... Mais toi, tu ne fais jamais de faute de goût ?
— Jamais ! clama Leandro en rejetant ses boucles brunes en arrière. Si j'ai besoin de l'avis d'un expert, je n'ai qu'à me parler à moi-même ! »
Je ne pus le contredire. Il avait le chic pour porter des blousons courts et attirer les regards sur le galbe de ses cuisses et de ses fesses. Aucune femme dans la rue n'y échappait !
Nous visitâmes le Chinatown local ; le Musée d'Art ; l'hôtel intercontinental ; la Red Brick Warehouse, un bâtiment historique servant de complexe commercial et la Landmark Tower, la seconde plus haute structure du Japon. Je m'extasiai sur le jardin traditionnel Sankeien crée au XXe siècle et la vue sur la résidence d'un seigneur féodal. Pour sa part, Leandro se régala de la visite de la fabrique de bière Kirin et de ses dégustations. Il insista encore pour me traîner dans le musée des nouilles.
Avant de repartir, nous nous promenâmes dans le quartier et sur la baie de Kannai, le cœur administratif et commercial de la ville, témoin de nombreux évènements historiques. Sur ordre de Leandro, notre court séjour s'acheva par une virée shopping du côté de Sakuragicho. Nous courûmes pour sauter dans le train du retour et nous battre pour faire rentrer tous nos sacs avec nous – ou plutôt ceux de Leandro qui en deux jours avait dépensé l'équivalent de tout mon pécule de conseillère d'accueil à l'office du tourisme.
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...