[Narration : Lucie]
L'aéroport Charles-de-Gaulle était un endroit familier. Pourtant, je ne m'y sentais pas bien. De minute en minute, j'avais la sensation que l'implosion allait survenir. Elle était proche, si proche que mes jambes en tremblaient.
Je serai bientôt fixée.
Ma bouche était sèche. Pour la énième fois, je vérifiai que je me trouvais à la bonne sortie. Je n'étais pas seule à attendre : quelques employés d'agences de voyages avaient coincé des pancartes sous leur bras ou entre leurs genoux, patientant le portable collé à l'oreille.
Qui serait assez malsain pour m'envoyer un tel canular ?
Tout à coup, il y eut des bruits de pas. Derrière les cordons, une file de passagers aux traits tirés par la fatigue et l'inconfort du voyage s'avança dans notre direction. Ils tiraient des valises énormes, leurs regards scrutant les panneaux d'un air soucieux, comme s'ils doutaient de ne pouvoir retrouver leur Saint Graal de guide.
Les visages défilèrent en ligne. Je les examinai tous, un par un. Pochettes de voyage entre les mains, appareil photo autour du cou, baskets aux pieds. Ils étaient tous en groupe et approchaient pour l'écrasante majorité d'entre eux les soixante ans. Cheveux grisonnants, yeux étirés, très élégants.
J'attendis.
Le coma.
Pourquoi n'y avais-je pas pensé ? Mais il était tombé devant moi, touché à la poitrine. Le sang avait éclaboussé le sol avant que son corps ne s'écrase sur le givre.
Et si vraiment, il n'était pas mort sur le coup ?
Une mort temporaire, cela existe-t-il ?
L'email faisait référence à Tsukimi. Ce ne pouvait être que lui. Personne d'autre ne m'avait jamais récité ces vers. C'était notre secret.
Respirant par saccades, je n'arrivais plus à réfléchir. Mon crâne me faisait mal et la pression dans ma poitrine était écrasante.
Soudain, un homme seul se détacha du reste des voyageurs.
Le décompte du temps fut différent.
Kensei.
*
Le Black Stone était plein à craquer.
Takeo plaça devant moi un MMJ, un cocktail qu'il avait inventé en hommage à Minoru, Mika et Juro. Un nom peu original mais parlant.
« Pas mal du tout. Merci Takeo.
— Forcément ! Tu t'attendais à quoi ? Hein, Clé-à-molette ? Ne me provoque pas ! » répliqua-t-il en souriant.
Kensei lui fit signe de retourner au comptoir où le barman l'attendait pour l'instruire d'autres commandes.
Nous échangeâmes un regard serein.
À son réveil du coma, des mois plus tard après la tuerie, Kensei était allé à Nintaï secouer le proviseur, lequel avait visiblement reçu un nombre important de pots de vins par divers clans mafieux. Puis, il s'était tourné vers l'administration de mon université. Bien évidemment, j'avais fait en sorte de ne pas laisser de traces. J'avais fait tout effacer des registres, et donné une grosse enveloppe remplie de billets à un agent municipal. C'était comme si je n'avais jamais existé. Je ne voulais pas être retrouvée. Je ne voulais pas me souvenir. Kensei avait même contacté Sven, Leandro, Shizue et Yoshi mais eux non plus n'avaient pas eu de nouvelles.
J'avais disparu du jour au lendemain et demeurais introuvable.
Tout le monde avait compris. Personne ne m'en tenait rigueur. Mais Kensei continuait de me chercher. En vain, car j'étais invisible sur les réseaux sociaux et sur tous les historiques auxquels il aurait pu avoir accès.
VOUS LISEZ
Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...