30. Frigorifiée

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[Narration : Lucie]

À l'image du Black Stone, août était étouffant et l'atmosphère désespérément moite. Le taux d'humidité dans l'air atteignait des sommets et le moindre mouvement me faisait transpirer à grosses gouttes.

L'après-midi touchait à sa fin et à la place de Kensei, retenu dans le garage du Vieux, j'eus la surprise de trouver Nino perché sur son scooter en bas de ma résidence. Nous avions tous rendez-vous au Maruschka pour un billard, l'une des seules activités encore possible pendant les vacances pour éviter de se retrouver à l'extérieur et se transformer en serpillère humaine.

« Y'a un konbini près de chez toi ? J'ai la dalle !

— Salut, Nino. Oui, je te guide. Tu as un casque ? »

Pour toute réponse, il retira le sien et me le lança.

Trois semaines après le casse du konbini, celui-ci avait été rénové. J'avais tenté de discuter de ce qu'il s'était produit cette fameuse nuit mais le vendeur refusait d'aborder le sujet. D'un caractère avenant, le traumatisme qu'il avait subi l'avait rendu austère et gris. Il aurait certainement besoin de temps pour se remettre des évènements. Après mon passage forcé chez les yakuzas, je ne pouvais que comprendre son attitude distante vis-à-vis de sa clientèle, même la plus proche. D'un autre côté, je m'inquiétais pour la faction de Takeo. Ils continuaient tous d'agir comme si de rien n'était, comme si les yakuzas ne les avaient pas menacés.

Pendant que Nino choisissait son paquet de biscuits, je jetai un coup d'œil au vendeur qui m'ignora.

Les mains enfoncée dans ses poches, toujours courbé, Nino se retourna vivement.

« T'es ridicule, Clé-à-molette ! Arrête de le dévisager comme ça. On dirait que tu veux lui ouvrir la bouche et en extraire ce qu'il a vécu.

Je courbai les épaules, agacée de ses commentaires.

— Tu m'énerves !

Ses lèvres se retroussèrent pour sourire.

— Je m'en fiche.

Après un silence, il ajouta :

— Je t'ai frustrée, on dirait.

— Absolument. Tu donnes l'impression de n'être troublé par aucun sentiment humain. Tu te moques d'être apprécié ou non.

— Toi, renifla-t-il, tu fais bien trop attention à ce que les gens peuvent penser de ta petite personne.

— Ah, non ! Tu n'as pas le droit de me renvoyer mes critiques !

Il sourit, complice.

— Dis, m'interpela-t-il l'air de s'être rappelé de quelque chose, je t'avais promis de te parler de l'origine des yakuzas. Mais je préférais t'en toucher un mot ici avant d'aller au Maruschka. Je crois que les autres en ont assez de se prendre la tête avec ces histoires.

Étonnée de son initiative, j'acceptai avec empressement. Avec Nino, c'était maintenant ou jamais, il ne réitérerait pas son offre.

Il s'essuya le nez avant de se racler la gorge.

— Les yakuzas sont les descendants des Bakuto, des joueurs professionnels que tu pouvais rencontrer en ville, dans les foires, les commerces louches etc. Ils sont aussi affiliés aux Tekiya, des colporteurs qui construisaient les routes. Ils ont toujours été armés et venaient des milieux rejetés : voyous, mendiants, paysans chassés de leurs terre, samouraïs dont le seigneur était mort et qui erraient à la recherche d'un travail ou d'un truc à se mettre sous la dent...

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant