[Narration : Lucie]
Deux jours après l'incident, le vendeur du konbini décéda d'une prétendue crise cardiaque. Selon mes souvenirs, il avait trente-neuf ans. De ma résidence, je fus alertée par le bruit des ambulances qui revenaient dans le quartier. Instinctivement, je me précipitai en direction des ruines du konbini sans alors savoir que la famille du vendeur logeait dans cette même rue.
Je vis les portes de l'ambulance se refermer en bas de son appartement et son épouse s'effondrer sur elle-même à la vue de tous. L'ambulancier lui tapota l'épaule, ne sachant que faire d'elle. Lorsque la femme releva la tête, je lus dans ses yeux une douleur infinie qui me stria le cœur. L'ambulancier tenta de la remettre sur ses jambes pour lui faire signer un papier mais la pauvre femme ne put articler un seul mot.
Je détournai le regard. J'aurais voulu pleurer avec cette femme et partager un peu de sa peine pour la soulager. Mais on ne soulage pas la mort. C'est elle qui s'en charge à votre place.
*
[Narration : Kensei]
« Je suis désolé, Lucie. »
Elle était assise en tailleur sur mon futon, les épaules tombantes et le regard vide. Adossé à mon oreiller contre le mur, je la regardais, impuissant, lutter contre les images qui assaillaient sa mémoire. Encore une chance que Minoru et elle ne se soient pas trouvés trop près de l'explosion. C'était ce que je ne cessais de me répéter pour me tranquilliser.
Depuis quatre jours, Lucie ne disait rien. Elle était en état de choc. La nuit d'avant-hier, elle était restée blottie contre moi, immobile et n'avait pas bougé jusqu'à l'heure du déjeuner. Nous n'avions pas regardé la télé ou écouté la radio qui diffusaient continuellement les images de l'explosion et expliquaient avec regret que l'enquête piétinait. La mère de Nino m'avait appelé et recommandé de bien m'occuper de Lucie, de l'alimenter et de ne pas lui poser de questions. Mais Minoru m'avait déjà tout raconté et la mère de Nino ne savait pas que si questions il y avait, elles venaient toujours de la part de Lucie.
Je me levai du futon pour mettre mon t-shirt que Lucie avait enfilé la veille. Il portait encore son parfum. Pendant le dîner, elle tremblait tant qu'elle avait tâché son chemisier. Ma mère s'était jetée sur elle pour la rassurer et laver son vêtement. En s'excusant, Lucie avait inversé l'ordre des mots. Ce n'était jamais arrivé, sa grammaire japonaise était presque parfaite.
J'attrapai mon paquet de Marlboro sur le bureau et allumai une clope. La fumée grisa l'intérieur de mes poumons comme si les neurorécepteurs de mon cerveau pouvaient directement aspirer la nicotine sous cette forme.
« La même chose est arrivée à ton coiffeur, pas vrai ?
Je sursautai. Sa voix était morne, sans couleur mais elle avait le regard chargé d'émotion.
— Tu n'y as pas cru, à sa crise cardiaque, ajouta Lucie.
La gorge serrée, je saisis un cendrier et m'assis à côté d'elle sur le futon.
— C'est parce que ça n'en était pas une, répondis-je en baissant la voix. Les yakuzas nettoient souvent derrière eux, impossible de les faire plaider coupable même si tout le monde connaît la vérité.
— Alors... Ils ont recommencé.
J'acquiesçai. La fumée s'éleva vers le plafond mais se dispersa avant de l'avoir touché. Je tapotai sur la cigarette. Les cendres dégringolèrent d'un coup dans le cendrier.
— Ma p'tite lune, peut-être que tu devrais te reposer encore un peu.
Une houle de colère déferla en elle.
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...