53. Le dénouement

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[Narration : Lucie]

Yuito dû parler longtemps avec Okito car une demi-heure plus tard, il n'était toujours pas revenu.

Soudain, un videur à la veste parsemée de flocons de neige surgit dans le bar en gueulant à l'intention du barman qu'il avait besoin de renfort. Aussitôt, comme un même homme, la bande se leva de la table et se précipita à l'extérieur. Takeo adressa un signe de tête au barman et lui gueula qu'il s'en chargeait.

J'abandonnai ma bière et les suivis, la moitié du Black Stone sur les talons.

Arrivée à l'extérieur, hors d'haleine, j'écarquillai les yeux. Un cercle s'était formé autour d'Eisei. Il avait empoigné Yuito par le col et lui donnait des coups de genoux dans le ventre.

Takeo se jeta sur Eisei, le fit tomber dans la neige et le roua de coups au visage. L'action fut si vive que tout autour, le temps sembla tourner au ralenti.

Eisei et Takeo, les deux pontes de Nintaï, se battaient.

La rue entière avait les yeux braqués sur eux.

Le regard fixe sous sa figure ensanglantée, le Grand Manitou répondait aux attaques avec force. Son collier de barbe avait poussé, guidant vers son menton les sillons de sang. Il balança une puissante droite dans le nez de Takeo mais sous l'impact, recula, aveuglé par le sang et la neige qui tombait. Napoléon se prit le coup et Eisei dérapa sur le verglas. Il se releva et s'élança, poing en l'air.

Au pied de l'escalier, Kensei trépignait en remettant Yuito sur ses pieds. Il devait mourir d'envie d'aider Takeo et se retenait à grand-peine. Sous la violence des coups, les deux ne tenaient déjà plus droits et soufflaient comme des bœufs. Il me sembla qu'Eisei chancelait un peu trop et que ses réflexes étaient lents. Avec un temps de retard, je m'aperçus qu'il était ivre. Takeo prenait l'avantage mais Eisei l'avait déjà mis dans un sale état.

Finalement, deux videurs surgirent des escaliers de pierre en poussant les curieux. Avec l'aide de Daiki, ils parvinrent à les séparer mais Eisei et Takeo se libérèrent de leurs poignes. Contre toute attente, l'ancien Grand Manitou fit marche arrière et manqua de tomber dans ses propres jambes.

« T'abandonnes, hein ? le railla Takeo qui saignait abondamment du nez, de la bouche et d'une blessure sur son front. T'es qu'un lâche comme cet enfoiré de Fumito !

— Fumito ? répéta Eisei en bégayant d'alcool. Il s'est fait trouer ! Le gars est crevé depuis longtemps ! »

Deux employés de la sécurité le poussèrent en arrière. Eisei les insulta, la voix vacillante mais sans insister, il disparut au coin de la rue.

Takeo était abasourdi, la bande estomaquée.

Les videurs s'enquirent de ce qu'il s'était passé. Yuito prit les devants : Eisei l'avait attaqué sans raison apparente. Il était ivre et n'aimait pas sa tête. Les videurs se contentèrent de cette excuse et firent signe aux spectateurs qu'il n'y avait plus rien à voir et que nous ferions tous mieux de retourner dans le bar.

Cette nuit-là, je me blottis le corps enroulé autour de celui de Kensei. Ne me fiant qu'au sens du toucher, je descendis les mains le long de son dos et caressai la boursouflure laissée par sa cicatrice. Le geste était devenu habituel, une sorte de rituel avant que nous nous endormions. Cependant cette nuit, j'avais besoin de davantage. L'altercation de la soirée m'avait convaincue que je ne fermerai pas l'œil si Kensei ne me tenait pas dans ses bras.

« Lucie, murmura-t-il à mon oreille. Tu t'inquiètes toujours pour Minoru.

— La situation doit être grave. Eisei ne se serait jamais exposé comme ça.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant