55. A coeur ouvert

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[Narration : Lucie]

Le proviseur ne m'invita pas à m'asseoir. Derrière son bureau, il se tenait droit et me regardait avec la même rigueur que celle de sa posture :

« Rendez les clés, ordonna-t-il.

Je m'exécutai et posai le petit trousseau devant lui.

— Il y a quelques jours, j'ai reçu un appel de Madame Noguchi. Elle me remerciait d'avoir retrouvé son fils. Pouvez-vous m'expliquer ?

— Eh bien, je...

Ses yeux me décochèrent un regard furieux.

— Oubliez ma question ! Parce que vous travailliez bien, je vous ai passé votre relation avec Kensei Ikeda et nombre de ce que vous imaginiez être des cachotteries. Quoi ? Vous pensiez que je n'avais rien remarqué ? Ceci est mon établissement !

Je ne répondis pas. Il poursuivit, l'œil sombre :

— Votre dernière violation des règles de Nintaï, en revanche, ne souffre d'aucune exception. Votre infiltration en plein nuit ne peut être aucunement justifiée.

— Même pour porter secours à un étudiant ?

— Minoru Noguchi n'était pas en danger. Il ne peut l'être dans nos murs. En conséquence de votre action, je me vois dans le regret de vous renvoyer.

Je me pétrifiai. Il n'y prêta aucune attention :

— Madame Chiba vous remettra votre dernier salaire sous enveloppe d'ici une heure. À cause de vous, elle doit travailler cet après-midi. Émargez et ne revenez plus. Adieu. »

Consternée, la gorge bloquée, j'acquiesçai avant de sortir.

Dans le secrétariat, Madame Chiba était prête. L'expression impassible, elle me tendit l'enveloppe :

« C'est injuste, protestai-je au bord des larmes.

— Soyez contente qu'aucune action en justice n'ait été intentée contre vous. Vous vous en sortez bien.

Tremblante, je pris l'enveloppe à deux mains. J'eus un dernier regard pour cette femme âgée que le destin aurait pu rendre mille fois plus aigrie.

— Pardon de vous avoir obligé à travailler cet après-midi.

— Désolée de vous voir partir. Il sera difficile de retrouver quelqu'un d'aussi impliqué que vous. Portez-vous bien. »

Mon carton dans les bras, je dépassai un à un les locaux d'activités sportives en terminant par celui de boxe. Là, jugeant de mon état misérable et réalisant que je n'avais plus aucune autorité sur eux, des nintaïens me tombèrent dessus. L'un d'eux saisit mon carton et le fracassa par terre, un autre flanqua un coup de pied dedans et un troisième m'empoigna par la manche.

« Clé-à-molette, t'as des nouveaux potes ? »

Les trois têtes se tournèrent vers Daiki qui était adossé à un pilier. Il fumait tranquillement une cigarette, avec dans l'autre main un sac en plastique contenant le goûter de Napoléon. Nul doute que le géant attendait la pause de club pour sustenter son gourou.

Sans crier gare, Daiki laissa tomber le sac et se rua sur les types. Il souleva mon agresseur et le projeta contre un mur. Les caïds lui sautèrent dessus mais en quelques coups, il les envoya rouler dans la poussière dans un état d'inconscience. Satisfait, le géant frotta ses mains sur son pantalon pour les nettoyer, se baissa pour prendre mon carton et le coinça sous son coude. Encore sous le choc, je le regardai avec des yeux ronds.

« Merci.

Il fronça les sourcils.

— J'vais t'escorter jusqu'aux grilles.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant