[Narration : Lucie]
Le toit était bondé et le cendrier Kaki-pi débordait de mégots. Des fragments de nuages passaient dans le ciel annonçant l'été.
Takeo balaya l'assemblée d'un regard scrutateur. Quelques jambes gigotèrent mais pour la plupart, les gaillards demeurèrent de marbre. Tout le monde admira le tatouage de Napoléon qui, après avoir retiré sa chemise hawaïenne, se pavana torse nu. Le dessin inscrit sur son flanc droit représentait un aigle dévorant une grue. Plutôt éloquent et à mon goût, médiocre.
« Mec ! s'écria Minoru. On part en week-end tranquilles et toi tu te pointes le lundi avec un tatouage gros comme un ballon ! Normal quoi... Nan mais t'es sérieux ? fit-il la bouche désarticulée.
— Il n'est pas terminé. Y'a encore des séances... Reiji doit faire les détails et le remplissage.
— On va te prendre pour un mafieux ! Plein de lieux te seront interdits ! Tu ne pourras plus venir te baigner à l'onsen* avec nous !
— J'ai toujours détesté ça ! déclara Takeo.
— C'est pour ça que tu pues !
Les Men in Grey et Mika s'étouffèrent de rires. Il n'y avait que Minoru pour oser dire Napoléon des choses pareilles sans craindre de périr dans les trente secondes.
— Au moins, commenta Ryôta en se penchant sur le flanc de Takeo, même si on ne voit pas parfaitement à cause du cellophane, c'est vachement bien réussi ! Reiji a vraiment du talent. Mais j'aimerais pas être à la place de la grue...
— Il t'a fait la réduc' de cinq pourcent alors, ce lâcheur ? se moqua Tennoji.
Takeo acquiesça. Changeant aussitôt d'attitude, il tourna vers moi son visage carré à la peau grasse :
— Il a vraiment abandonné l'école, Clé-à-molette ?
À mon tour je hochai la tête, mal à l'aise. Je m'étais personnellement occupée du dossier de Reiji, l'ancien stratège de la faction. J'avais fait en sorte que tout soit en règle, sauf à omettre ses absences en cours qui auraient pu l'empêcher d'entrer en apprentissage chez le tatoueur-perceur qui l'avait accepté. Je n'appréciais pas particulièrement Reiji mais c'était la moindre des choses à faire pour lui permettre de repartir sur de bonnes bases en quittant Nintaï.
— Bon, alors, s'exclama Takeo en renfilant sa chemise hawaïenne. Ça ne tente personne ? Kensei peut-être ?
L'intéressé eut un sourire creux. Mika croisa les bras :
— Si un jour Kensei se fait tatouer le nom de Clé-à-molette, je gerbe !
Ryôta lui donna un coup de coude.
— Avoue, tu préfèrerais plutôt que ce soit le tien, hein l'Hypocondriaque ?
— Plutôt crever, répondit laconiquement Kensei à la place de Mika.
— Hé, Clé-à-molette ! me harangua Takeo de sa voix d'imperator. C'est quoi, la tronche que tu tires ? Il n'est pas beau, mon tatouage ?
Je m'empressai d'acquiescer. Même si Reiji était doué, je trouvais le dessin affreux. Satisfait, Takeo se désintéressa de moi et répéta la question à chacun de ses suiveurs. Minoru me tapota le sommet de la tête :
— Quand t'es avec nous, y'a toujours un moment où tu tires cette tronche.
— Vous me décontenancez.
— On t'exaspère, surtout ! se moqua-t-il.
— Eh bien, je ne vais pas prétendre le contraire.
— Comme la fois où on a changé de place les dossiers sur une étagère du secrétariat et que la vieille Chiba t'a passé un savon ?
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...