32. Te protéger

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[Narration : Lucie]

Avant que ne survienne le braquage dans le konbini, Nino m'avait parlé du code des yakuzas. Initialement, ils n'étaient pas les figures auxquelles j'aimais m'identifier lorsque j'étais enfant. À l'époque, un dessin animé diffusé à la télévision narrait les aventures fictives de l'un d'entre eux. Je connaissais les samouraïs sous leur statut de guerriers mythiques dont le Japon avait en partie hérité sa stricte hiérarchie. Cette caste se composait de trois piliers : la notion d'obligation, la honte et la conscience du collectif. En creusant la question, j'avais lu que leur code, le Bushido, intimait la loyauté envers leur maître et employeur, l'indifférence au l'inconfort physique, l'ignorance de la peur et la capacité à accepter la mort. Les samouraïs ne se préoccupaient de rien sinon d'accomplir leur devoir et de protéger leur réputation. Kensei aurait fait un parfait samouraï selon la vision limitée que j'en avais auparavant.

Au XIIIe siècle, n'importe qui pouvait se faire recruter en tant que guerrier. Le gouvernement central était instable et les brutes sans éducation permettaient aux seigneurs féodaux de s'intimider entre eux. Les mercenaires se faisaient rétribuer en terres et en vivres. Devenus semi-professionnels, ces guerriers, souvent des fermiers, se battaient alors hors saison agricole.

Vers la fin du XVIe siècle, aucun code n'existait encore. Posséder une terre cultivable signifiait faire payer une taxe, que des forces armées étaient chargées de recueillir – en l'occurrence les samouraïs – ce qui garantissait la sécurité et le confort matériel des propriétaires terriens. Les samouraïs changeaient alors de seigneur en fonction de leur rémunération, abandonnant leur loyauté dès qu'un maître plus offrant faisait son apparition. Ces circonstances ne les empêchaient pas de clamer leur bravoure et leurs exploits, que les ménestrels s'appliquaient à transcrire en chansons.

Dès cette époque et jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'ère des samouraïs avait atteint son apogée. Sous le règne Tokugawa, les samouraïs s'étaient professionnalisés, avaient fait bâtir des châteaux imposants, complété leur armure et fait fleurir les arts japonais. Ils gouvernaient tous les aspects du pays, du gouvernement aux villes en passant par l'éducation et la culture. Néanmoins, à ce moment de l'histoire où la classe guerrière était enfin tout à fait constituée et entraînée, plus aucune guerre n'était survenue. Puisqu'il était devenu difficile d'être guerrier à temps plein, les samouraïs avaient alors occupé divers emplois, dans le but de maintenir les apparences où dans le pire des cas, survivre.

Le XVIIe siècle notamment avait vu une classe démoralisée prête à se battre pour rendre légitimes ses privilèges hérités de l'ancien temps. Afin de justifier leur rang élevé, les samouraïs s'étaient mis à exposer leur généalogie. Dans ce climat où les seigneurs ne savaient plus que faire de leurs guerriers, ceux-ci avaient dû se montrer d'une loyauté – voire d''une docilité – infaillible envers leur employeur, alors-même que leur rémunération diminuait. Toutefois, les villes abritaient environ la moitié de la population samouraï et leurs familles, si bien qu'il était difficile pour eux de résister aux fêtes, jeux de hasard, théâtre et bordels. Mettre son sabre en gage était alors assez répandu... 

Kensei, lui, ne se serait jamais défait de sa boîte à outils et encore moins de sa Clé-à-molette.

*

[Narration : Kensei]

Lucie revint du temple qu'elle avait visité avec son amie Shizue. Il faisait déjà nuit lorsqu'elle arriva au restaurant dans une robe courte avec de simples bretelles. Elle me fit l'effet d'un tremblement de terre. Déglutissant silencieusement, je ne montrai rien de mon trouble. Tomomi se rua sur elle et ma mère la gronda pour qu'elle nous laisse tranquilles.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant