[Narration : Lucie]
Ulcérée, j'incendiai Takeo au téléphone. Il se moqua de Sven, compatit un peu puis raccrocha après avoir déclaré que le combat avait été loyal, que ça calmerait l'arrogance de mon ami et lui apprendrait l'humilité.
Très vite, je me rendis à la bijouterie avec deux boîtes remplies de cookies au chocolat auxquels Sven ne put toucher tant il avait mal aux mâchoires. Maeda, sa mère, était sortie acheter de nouvelles compresses et pansements antiseptiques.
« Comment elle a réagi ? demandai-je à Sven allongé sur le canapé du salon, entouré de livres et de revues juridiques.
— J'ai cru qu'elle allait faire une crise cardiaque, murmura-t-il. Mais ça va, ne t'inquiète pas. Elle ne sait pas que c'est moi qui ai cherché la bagarre. Je lui ai dit que j'avais fait une mauvaise rencontre.
— Tu parles d'une mauvaise rencontre... ! Takeo !
— On n'en parle plus, s'il te plaît. »
Je me penchai sur lui et ajustai son ballon de glace qu'il maintenait contre sa joue. Même le visage contusionné, éraflé et de toutes les couleurs, Sven restait magnifique. La beauté de ses traits fins était à peine éclipsée par les horions et les croûtes de sang. Seuls ses yeux bleu électrique avaient un peu perdu de leur éclat.
Il m'expliqua qu'il avait agi sur un coup de tête, qu'il voulait me rendre justice pour tous les services que je rendais aux nintaïens alors que selon lui, ceux-ci ne m'orientaient que vers un tourbillon de violence sans fond.
J'aurais mieux fait de prendre ses menaces au sérieux. Sven ne mentait jamais, il disait ce qu'il faisait et faisait ce qu'il disait.
« Je t'avais dit que ce n'était pas à toi de me défendre, exposai-je doucement. Ce n'était pas ta place, pas ton rôle.
Sven se redressa pour se mettre en position assise. Je m'assis à côté de lui en écartant la table basse pour ne pas qu'il s'y cogne les genoux.
— Je voulais leur montrer qu'ils n'étaient pas intouchables, que tout le monde n'avait pas peur d'eux, se justifia-t-il.
— C'est facile d'attraper un bébé tigre. Il suffit de pénétrer dans son antre.*
— Mets-toi à ma place cinq minutes, plaida Sven en resserrant la poche de glaçons contre sa mâchoire violacée. Rien de ce qu'il t'est arrivé ces derniers temps ne me semble juste. Tu m'as donné l'impression de vouloir à tout prix cacher tes problèmes pour ne pas exposer ces voyous aux poursuites et...
— Je sais que tu voulais m'aider. Merci. »
Sven se tut.
Le voir ainsi défiguré me serrait la poitrine. L'amitié n'est pas un cœur avec des ailes mais avec des racines. Celles qu'avaient plantées Sven dans le mien étaient très profondes.
Un bruit de claquement de porte et de tintement de cloche retentit au rez-de-chaussée. Ce devait être Maeda. Je me levai du canapé.
« Qu'est-ce que tu fais ce soir ? m'interrogea Sven, toujours assis, les mains posées sur les cuisses et le regard perdu dans le vide.
— Nous sommes le 7 juillet, je vais contempler Tsukimi.
— Avec Kensei.
Ce n'était pas une question mais une assertion.
— Oui, chuchotai-je en évitant ses yeux accusateurs. Et toi, tu y vas avec Momoka ?
Sven se rallongea dans le canapé en se retenant de gémir. Ses jambes étaient si longues qu'elles débordaient du canapé au niveau de ses mollets.
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...