45. L'exile

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[Narration : Lucie]

Leandro quittait le Japon. Il ne le voulait pas, il y était contraint. Nous avions tous été assez stupides pour croire qu'il avait définitivement cessé sa relation avec l'assistante du professeur de droit de la propriété intellectuelle. Or, celle-ci avait pris pour amant le professeur en question. Elle avait vingt de moins que lui et tout autant de plus que Leandro. Le Don Juan italien lui avait toujours trouvé un certain charme et ses excès d'amour, comme il les appelait, avaient accessoirement permis de monter ses notes dans la matière.

Pour se protéger, l'assistante avait soutenu l'existence de rapports sexuels non consentis avec Leandro. Elle voulait se débarrasser du gêneur qui menaçait sa carrière auprès de son protecteur. Elle tenait ainsi un argument en or massif pour faire chanter Leandro : un viol. Il avait dû déguerpir de l'université mais cela n'avait pas suffi à l'assistante. Elle voulait de l'argent. Il n'en avait pas et choisissait de quitter le pays – il terminerait ses études en Italie. Inconstant et volage, l'excitation valait selon lui mieux que la satisfaction du plaisir. Mais aujourd'hui, il en payait le prix.

Sous des avalanches de larmes et d'accolades, son départ en catastrophe eu lieu une semaine après qu'il nous ait informé de sa décision.

*

Ma visite de Nagoya m'épuisa. Shizue pleura de nombreuses fois Jotaro et le départ précipité de Leandro mais elle puisa en elle une énergie digne de celle d'Aïko. Je la trouvais forte : les larmes aux yeux, elle affirmait ne plus avoir de boule au ventre. Effectivement, elle avait retrouvé une partie de sa candeur et lors de ces quelques jours, j'éprouvai des difficultés à suivre son rythme effréné.

Nous enchaînâmes les visites entre le château de Nagoya et le port, le musée des sciences et son planétarium mondialement reconnu, les musées d'art dont celui dédié à l'ancien clan Tokugawa, rendîmes visite au Grand Bouddha du temple Toganji, arpentâmes la rue commerçante Osu et son temple et Shizue insista encore pour aller faire du shopping dans les grands centres commerciaux Sakae.

Shizue monologua la plupart du temps, n'exigeant de ma part qu'un minimum de réponses et cela me convint parfaitement. Au cours de ce séjour, j'arrivai en effet à une constatation qui, bien qu'elle empiète sur mon dynamisme, en quelque sorte me soulagea.

Cela faisait à présent deux mois que mes parents n'avaient pas pris de mes nouvelles.

Ils ne m'aimaient pas.

Ils n'aimaient pas Amandine non plus.

Ils n'aimaient qu'eux.

C'était triste mais c'était la réalité et avoir enfin le courage de la voir en face me déchargea d'une pression que je subissais depuis l'enfance. Ma sœur et moi n'étions pas des poids. Aux yeux de nos parents, nous étions simplement du passé, du sang portant leur nom et cela leur suffisait. À nous de tracer notre chemin et de vivre notre existence.

Au fond, Amandine et moi l'avions toujours su mais étant l'aînée, elle n'avait pu se résoudre à me confronter directement à cette situation. Ma grande-sœur attendait que j'arrive seule à la conclusion pour qu'elle soit moins douloureuse.

Dans le train du retour pour Osaka, après que nous nous soyons plaintes une énième fois du départ injuste de notre ami Italien, je m'endormis sur l'épaule de Shizue. Mon rêve se poursuivit.

La monstrueuse pieuvre enroula ses bras écarlates autour du du requin géant. La longueur de mon corps correspondait à peine à la taille de sa mâchoire dont les rangées de dents déchirèrent un tentacule. Une tache de sang bleu s'échappa du corps atrophié de la pieuvre qui se désenroula aussitôt du requin.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant