49. Dans le noir

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[Narration : Kensei]

Takeo vint à ma rencontre d'un air faussement nonchalant. Ses yeux sombres et durs m'examinèrent avec méfiance.

« T'as pas l'air bien, Kensei.

— J'ai bouffé un truc pas bon.

Il désigna le bout couloir d'un geste de la tête.

— On peut parler dans un endroit plus tranquille ?

— Comme tu veux. »

Je le suivis, les mains dans les poches. Qu'est-ce qu'il allait encore me raconter ? Si c'était encore un chantage, qu'il aille se faire voir !

Après les départs de Yuito et Reiji de la faction, il avait beau dire, la bande était fragilisée. L'agrégation de Jun ne suffisait pas à les remplacer.

Nous dépassâmes le pallier, désert et longeâmes les salles de classes, jusqu'au bout du couloir. Sur le côté, une grande trace blanche sur le mur tagué laissait penser qu'un pauvre type s'était fait asperger de craie. Un endroit était légèrement teinté de rouge. Certainement un pif qui avait été aplati contre le crépi.

« C'est le calme plat depuis que Ichiro t'a laissé la place.

Takeo ralentit :

— Il a eu les chocottes mais je lui aurais bien botté les fesses. Hé ! Il cicatrise, ton dos ? Parait que Clé-à-molette te l'a mis en sang ! railla-t-il. Je croyais qu'elle était trop occupée à se débarrasser de Minoru !

Je le choppai par le col. 

Il se dégagea aussitôt.

— Tu te fous de moi ? C'est ça pour toi, être leader ? Te moquer des autres ? Ma balafre me fait déjà suffisamment mal ! Tu l'as sens, la tienne ?

Takeo frotta sa cicatrice sur la joue. Il eut un tic nerveux au coin de l'œil et s'arrêta de marcher.

— Et Minoru ? ajoutai-je. Les gens ne sont que des pions pour toi ? Tu veux faire plaiz' à la bande en le gardant comme bras droit mais ça t'a bien plu, hein, qu'il devienne le leader du club d'athlétisme !

— T'es jaloux ?

— Tu te sers de son amitié pour renforcer ton emprise sur le club d'athlétisme !

— Tu sais que c'est faux ! rétorqua-t-il en se fendant d'un rictus.

— Alors dis-moi pourquoi tu lui as dit d'aller se faire pendre quand Reiji s'est barré de la faction ?

— Ça m'a échappé.

— C'était dégueulasse et tu ne t'es jamais excusé ! lui rappelai-je. Tu n'imagines pas ce qu'il a enduré !

Il eut l'air embêté et rajusta le col de sa chemise hawaïenne :

— Ça m'étonne que tu te préoccupes de Minoru alors qu'il essaie de te piquer Clé-à-molette.

— Ce sont nos affaires ! Moi, j'ai fait une promesse au frangin de l'Opossum.

Mes tempes battaient à tout rompre. Piégé, Takeo attendit que je poursuive.

De l'acide reflua dans ma gorge :

— Tu crois être un leader exemplaire alors que tout le monde, à part Daiki, se rend compte que tu te sers d'eux. Tu vas devoir faire un effort si tu ne veux pas qu'ils se cassent chacun dans leur coin ! Yuito n'était qu'un début, sans parler de Reiji !

Son regard s'aiguisa :

— T'as rien compris à ce qu'être un leader signifiait.

— Je le suis aussi, au cas où t'aurais oublié.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant