52. Le Fentanyl

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[Narration : Lucie]

À la venue de décembre, le mercure chuta brusquement. J'achevais mes révisions d'examens en avance et fignolais mes deux mémoires à rendre à l'Institut d'études politiques de Lyon. Assise à la table de mon appartement, j'observais le ciel depuis quelques minutes. Il était couvert de grandes pannes blanches et grises qui se dispersaient de temps à autre.

Depuis que j'étais allée voir Minoru dans le club d'athlétisme, il m'évitait comme la peste. Je n'avais pas jugé opportun de donner d'explications à la bande, Minoru avait dû s'en charger. De leur côté, les autres membres du groupe et Kensei avaient apprécié mon geste. Lui n'avait jamais été aussi aimant à mon égard : au bas mot, il me dorlotait. Ses intentions inattendues me permettaient de relativiser la situation. C'était un mal pour un bien, même si j'avais gardé une part de la douleur en moi.

La lune transperça la brume. Le bloc rocheux était très clair et lumineux ; il semblait avoir été réfrigéré comme les rues. Sa couleur cendrée se diffusait langoureusement sur l'ensemble de la ville. J'imaginais que la lune qui flottait, tout à coup tombait sur Terre, telle une bille qui s'écraserait sur le sol.

Mais non, le satellite ne s'écraserait pas. Et pourquoi songeai-je à ce scénario catastrophe ? Je laissai mes pensées suspendues en l'air, comme la lune et me préparai un chocolat chaud.

J'avais un mauvais pressentiment.

*

Marchant en direction du Black Stone, je bravais le vent glacial qui me taillait les joues. Il soufflait avec force et j'avais l'impression qu'il forcissait davantage à chacun de mes pas. Enfin, j'arrivai à l'escalier en pierre et suivis le bruit assourdi des basses vers la grande salle bruyante, sombre et enfumée.

En dépit des stroboscopes aveuglants, je me dirigeai machinalement vers la table attitrée du gang de Takeo où on m'accueillit avec force de grognements : « Ça y est, Clé-à-molette ? T'as ressorti la tête de tes bouquins ? T'as décidé de revenir à la vie ? »

Je m'assis entre Ryôta et Nino. Kensei venait de me sourire et était aussitôt retourné à sa discussion avec Jotaro. Il me sembla qu'ils parlaient de Shizue mais la musique était trop forte pour que je les entende distinctement.

Je scrutai à nouveau le visage imparfait mais captivant de Kensei, observant les subtilités de ses expressions. Soudain, une ferveur m'envahit, un désir irrépressible de lui crier mon amour, de le proclamer avec une intensité telle que l'écho résonnerait à travers la ville. Cependant, je savais que Kensei serait déçu : il espérait ce moment d'intimité entre nous deux. Il n'attendait pas que je hurle mais que je prononce ce je t'aime tant attendu à voix basse et sincère.

Autour de la table, les conversations oscillaient entre des sujets fantasques et des considérations plus sérieuses. Deux sièges à ma droite, Mika l'Hypocondriaque, manifestement éméché, agitait la tête de haut en bas de manière frénétique pour marquer le tempo... qu'il manquait une fois sur deux en raison des rasades de bière qu'il s'enfilait. Excédé par ce manque de musicalité, Nino lui asséna un vigoureux coup dans l'épaule qui le fit s'étouffer dans son verre. Mika recracha de la boisson par le nez et tenta de frapper Nino qui l'évita aisément. Irrité, le pas peu assuré, Mika partit aux toilettes pour se débarbouiller.

En d'autres circonstances, j'aurais ri de ce mauvais tour joué au tondu. Mais je voulais prendre des nouvelles de Minoru. Depuis qu'il s'était mis à revendre de la drogue pour payer ses futurs frais universitaires, nous ne le voyions plus beaucoup. Il était très occupé à courir d'un bout à l'autre d'Osaka, venait plus rarement en cours et était la plupart du temps injoignable. Tout le monde s'inquiétait pour lui.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant