[Narration : Jun]
« Merci, Jun. Je suis sincèrement heureuse de te revoir.
Les yeux de Lucie s'embuèrent :
— Mais je n'y retournerai pas. »
Je reculai dans le canapé et l'observai.
Lucie avait maigri. Tous ses gestes étaient fébriles, lents et calculés, comme pour économiser ses efforts. Elle avait l'air d'une brindille abîmée par la moisson. Ses traits étaient tirés, des cernes dessinaient des arcs radiaux sur sa peau pâle, au teint ravagé par le chagrin. Seuls ses yeux n'avaient pas changé et elle avait laissé pousser ses cheveux.
Je songeai, triste, qu'elle était dans un sale état. Je parcourus la pièce du regard : son appartement n'était pas décoré et il y flottait une atmosphère sinistre, comme s'il le lieu était continuellement aspiré par le vide.
Si je ne ramenais pas Lucie au Japon, adieu ma promotion.
À côté de moi, elle essuya une larme. Je la regardai de nouveau. Elle avait cent ans, le supportait et ne demandait rien à personne.
Au diable ma promotion !
« Retrouve quelqu'un.
— C'est impossible, répondit-elle sans ressentiment dans la voix.
Je détournai la tête et croisai les mains sur mes genoux. Lucie resta immobile.
— Tu as revu des arcs-en-ciels ? demandai-je en me courbant pour attraper mon verre sur la table basse.
— Je n'y ai pas fait attention.
— Tu voudrais savoir ce que sont devenus les autres ? »
Elle hocha la tête, les yeux un peu plus brillants.
J'avais perdu contact avec beaucoup de nintaïens mais mon travail m'amenait régulièrement à retrouver les individus par hasard. J'avais ainsi appris que Reiji était à la tête d'un salon de tatouages et qu'il drainait beaucoup de clients, venus même des villes environnantes. Yuito, que je n'avais pas eu l'occasion de beaucoup côtoyer, continuait à déménager réfrigérateurs, armoires et cartons à travers Osaka. Alors que Ryôta était devenu host dans le bar de son frère, Jotaro et Tennoji avaient ouvert ensemble une boutique florissante de pièces électroniques détachées. Nino, lui, était devenu infirmier, inspiré par sa mère aide-soignante et par l'irascible infirmière de Nintaï qui l'avait accueilli en stage. À l'aide de ses économies, de sa réputation et de sa bonne volonté, Takeo s'était hissé au rang de co-gérant du Black Stone et y avait fait embaucher Daiki en qualité d'agent de sécurité. Le barman était content de s'être associé à Takeo, une relève dynamique qui lui avait rapporté la ceinture du combat de Waru, désormais accrochée bien en évidence derrière le comptoir. Entre Napoléon et le géant, les clients à l'alcool mauvais n'avaient qu'à bien se tenir.
Un faible sourire se dessina sur le visage de Lucie lorsque je lui appris que tous avaient suivi une cure de désintoxication. Il s'évanouit quand je lui indiquai que j'avais effectué des recherches sur l'agence qui l'avait fait partir au Japon. La société avait fermé, condamnée pour une affaire de corruption entre hommes d'affaires français et politiques japonais. Elle avait été mise en liquidation judiciaire six mois auparavant. Je n'avais pas pu obtenir d'autres informations : à savoir si l'agence avait été contrôlée par la mafia ou si elle avait été simplement mal gérée.
*
[Narration : Lucie]
Jun était resté toute la nuit. Nous avions beaucoup discuté et s'il n'avait eu de train à prendre, nous aurions continué nos conversations des jours entiers. J'avais voulu le raccompagner à la gare mais il avait décliné mon offre. Il avait simplement ajouté :
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...