29. La dernière visite

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[Narration : Lucie]

D'un trait de bière, Minoru avala une nouvelle pilule, différente de la première. Ses yeux sombres s'étirèrent à peine. Ils étaient déjà grands ouvert, injectés de sang et ses pupilles complètement dilatées. Je lorgnai le barman du Black Stone qui fit comme s'il n'avait rien vu. La cage thoracique de l'Opossum se souleva. Il expira : « Clé-à-molette, on peut sortir un moment ? J'ai trop chaud. »

Il était vrai que l'atmosphère du bar était étouffante. Le groupe était dispersé entre la fosse, le comptoir, les toilettes et la table. Pour célébrer l'anniversaire de Ryôta, Kensei avait pour la première fois pris du MDMA et il s'apprêtait à rejoindre l'Idol pour se défouler dans la zone de concert. Il ne tenait pas en place. Je l'agrippai pour lui demander son accord de crainte que, dans son état, il ne pique une crise. Kensei serra sa mâchoire déjà très tendue en raison de la drogue, avant de hocher la tête d'un coup sec et de filer dans la fosse.

« Je veux être libre ! cria Minoru une fois arrivé dans la rue.

Personne ne se retourna sur lui. Nous stationnâmes près de l'entrée de l'escalier en pierre. L'air était chaud et humide, sans grande différence avec l'intérieur du bar.

— Tu veux la liberté, Minoru. Tu la veux absolument. Mais si tu l'avais, est-ce que tu serais heureux ?

Il s'accroupit sur l'asphalte.

— Bien-sûr.

— Réfléchis un peu mieux.

Minoru leva la tête dans ma direction. Je voyais rarement son visage sous cet angle. D'habitude, c'était l'inverse.

— Je n'y arrive pas. Je suis perdu. Éclaire-moi.

J'écoutai à peine. Si le physique de Kensei m'affolait, je ne pouvais dénier le charme de Minoru. Il avait un beau visage à la peau légèrement bronzée, taillé en longueur avec des pommettes hautes et d'immenses yeux bruns malicieux. Ses lèvres pleines qui faisaient naturellement la moue surplombaient les deux arcs osseux de sa fine mâchoire. S'il avait eu une coupe de cheveux normale, moins d'anneaux aux oreilles et de cicatrices, il se serait probablement fait retenir dans la rue par des chercheurs de têtes pour des magazines de mode.

Minoru se redressa de toute sa taille et accola son dos contre le mur du Black Stone. À cause des effets du stupéfiant, il se restreint à taper du pied en rythme et à jouer avec ses doigts.

— Éclaire-moi, insista-t-il.

Je portai mon regard sur l'animation nocturne de la rue. Un salaryman ivre venait de trébucher et de s'étaler de tout son long sur le trottoir.

— Quand tu n'as plus d'obstacles, tu t'en créais. C'est humain.

— Le plus gros obstacle, c'est celui que tu mets entre nous, dit-il en croisant ses bras sur son t-shirt blanc. La seule personne qui aurait le droit de me restreindre, ce serait toi. Je te laisserais tout me faire, tu sais.

— Tu es en train de revenir sur ta parole, Minoru.

— Alors quoi, je m'affranchirais quand je mourrai, c'est ça ?

— Tu dis n'importe quoi.

Sa voix partit dans les graves.

— C'est ce qui s'est passé pour mon frère en tout cas. La mort l'a libéré de tout.

Paniquée, je tournai la tête vers lui. Son visage avait pâli et il semblait avoir pris dix ans.

— Minoru... Est-ce que ça va ?

Il se décolla du mur en secouant fébrilement la tête, les bras toujours croisés comme s'il se protégeait. Il avait pris de la MDMA avant tout le monde et était en phase de redescente. Elle était toujours difficile dans son cas mais normalement, Ryôta et lui la vivaient ensemble et s'épaulaient. Je n'osai pas lui demander quelle était la pilule qu'il avait avalée avant de sortir du bar.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant