[Narration : Lucie]
[« C'est toi la fille qu'il me faut ! Et toi, t'as besoin de moi ! Ne me dis pas le contraire !
— Je le pourrais mais tu m'insulterais.
Minoru ferma les yeux. Je me sentis piégée.]
Sans le vouloir, je me braquai et pivotai pour regarder de nouveau devant moi. J'observai les contours du tourniquet rouge délavé pour garder le contrôle. Minoru sortit les mains de ses poches et m'obligea à me tourner vers lui.
— Je n'y croirais pas de toute façon, assura-t-il d'une voix abattue. Après tout ce qu'on a traversé ensemble, tu ne peux pas me contredire. Tu ne peux pas oublier nos promenades nocturnes, nos coups à boire, nos blagues, nos discussions, nos bourdes, l'hôpital, nos découvertes sur les enquêtes, la ruelle, la course-poursuite contre Juro, les réunions sur le toit, les bastons, tes prises à parti à ma faveur contre Kensei, notre escapade à Nishinari... Tout ça, tu ne peux pas me le retirer !
Sa voix s'affaiblit :
— Moi, je ne peux pas oublier à quel point t'étais heureuse de me reparler après qu'on se soit pris la tête... Parce que t'avais pas écouté mes mises en garde contre Reizo.
Il venait de me planter un couteau dans le ventre ! Je ramassai mes mains contre mon ventre et relevai le menton.
— Tu n'avais plus que moi, insista-t-il. Kensei t'évitait comme la peste. J'étais le seul vers qui tu pouvais te tourner. À ce moment, j'aurais pu faire n'importe quoi de toi. Tu serais tombée dans mes bras ! Pas vrai ?
À mon expression, Minoru se donna raison :
— Bien sûr que c'est vrai ! Mais je ne l'ai pas fait. Tu sais pourquoi ? Parce que je te respecte et parce que j'suis bon joueur. Et au début, tu te souviens ? Je t'ai fourni l'adresse de la casse où Kensei récupère des pièces. J'ai dû fouiner comme pas possible pour la dénicher. Et je te l'ai offerte sur un plateau d'argent alors qu'on se connaissait à peine ! Tout ça, je l'ai fait pour toi.
Je ne savais pas s'il avait raison. Minoru était un dur, un caïd mais il m'était extrêmement compliqué de braver son regard de chien battu. Kensei avait raison : il avait une véritable emprise sur moi.
— Minoru, articulai-je en m'éclaircissant la voix, je vais te parler en comparaisons pour que tu comprennes. Pour moi, tu es comme l'étoile du Berger. Tu brilles de joie, tu scintilles de fantaisie, tu me guides, tu me fais un peu rêver aussi. Tu me fais voyager dans une autre dimension. Mais Kensei, c'est le soleil. Sans lui, je ne vois plus, je deviens aveugle, tout disparait, la lumière se retire de ma vie.
Les coins de sa bouche s'affaissèrent.
— Et toi, t'es quoi ? La lune peut-être ?
Minoru ricana et se tu aussitôt, comme frappé par une illumination. Il se pencha sur moi et saisit entre ses longs doigts le pendentif de Kensei que je mettais toujours en évidence au-dessus de mes vêtements.
Il tressaillit.
— Alors, ça veut dire que... J'ai pigé ! fit-il en claquant ses paumes l'une contre l'autre. Le soleil gravé sur la chaîne que t'as offerte à Kensei pour son anniversaire, c'est... ?
— Oui, tu as compris. C'était censé rester entre nous... Parce que pour être honnête, ces symboles sont un peu crétins. Mais à nos yeux, ils ont du sens.
— Du sens...
Minoru relâcha brusquement le pendentif et s'écarta. Un air de dégoût se peignit sur son visage contracté. Je fus bien assez soulagée qu'il n'ait pas arraché le collier de mon cou.
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Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans
General FictionMinoru s'est déclaré. Lucie se trouve face à un dilemme : le protéger ou soutenir Kei dont les crampes mystérieuses empirent à mesure que l'ombre de Fumito refait surface ? Takeo, lui, est déterminé à empêcher que Nintaï ne se transforme en une zone...