19. L'avenir

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[Narration : Lucie]

Après ma rencontre avec les yakuzas, j'avais songé à déménager dans une autre ville. Mais trop de choses me retenaient à Osaka. De plus, comme l'avait fait remarquer Minoru et comme je l'avais répété à Sven, je n'étais pas directement visée par la mafia. Cependant, après que j'aie surpris Eisei et Fumito ensemble, je sursautais au moindre bruit et tremblais comme une feuille lorsque je rentrais seule la nuit à l'appartement. Mes sens étaient en alerte et chaque son qui traversait mes tympans était amplifié à m'en donner mal au crâne. Comme une bonne vieille cuite.

Une bourrasque de vent me percuta de plein fouet. Ce n'était pas du vent, c'était la climatisation d'un magasin près duquel j'étais passée trop près. Au loin, les Men in Grey, Nino et Minoru me hélèrent.

Nous nous étions donné rendez-vous en ville pour nous rendre ensemble au Maruschka. Comme d'us, l'Opossum transgénique ne tenait pas en place. Il courut vingt mètres de sprint en avant pour nous dépasser, repartit en arrière, exécuta un saut sur le banc à gauche et tapa l'épaule de Jotaro à droite. Tennoji lui donna un coup de pied aux fesses et Minoru se précipita devant pour embêter Nino.

Minoru semblait avoir retrouvé la joie de vivre, sa décontraction et sa nonchalance mais je ne doutais qu'en réalité, il s'agissait d'une façade pour nous détendre tous et qu'il demeurait anxieux. Il ne valait donc pas la peine de lui demander pourquoi il avait incité l'ex de Kei à le recontacter.

Dans le Maruschka, nous rejoignîmes le reste de la bande qui avait entamé un billard en nous attendant. L'heure n'était plus à l'effroi : Ryôta avait réglé ses affaires avec le clan yakuza ; il était libre.

À notre table, c'était la première fois depuis des mois que les discussions allaient bon train sans qu'il soit fait allusion à la drogue et aux rivalités entre les groupes de Nintaï. Sous l'effet de l'alcool, nous riions tant et tant que mes zygomatiques me faisaient souffrir. À côté de moi, je vis des larmes perler sur la joue de Kensei qui s'empressa de les effacer pour ne pas trop contenter Minoru. Ce dernier éclaboussait la table de gaieté. Même Nino, l'éternel insatisfait, avait abandonné son regard acéré et son irascibilité pour dévoiler des canines pointues.

Jun arriva et déposa plusieurs boissons sur la table. Je m'empressai de goûter mon cidre. Tennoji m'apostropha :

« Il est à combien de pourcent ton truc ?

— Je ne sais pas.

— Tu deviendras diabétique avant d'être bourrée !

Tous s'esclaffèrent.

Jun but un peu de bière et se pencha sur moi, l'air réellement surpris :

— C'est toujours comme ça quand vous sortez ensemble au bar ? Je veux dire... Si dans l'immédiat, il n'y a pas de problèmes de fric, de drogue et de bagarres à résoudre ? C'est toujours aussi... Amusant ?

J'acquiesçai d'un hochement de tête. Jun eut l'air encore plus stupéfait mais je ne pouvais que le comprendre, ayant moi-même mis beaucoup de temps avant de parvenir à me détendre au sein de la faction de Takeo.

— En parlant d'amusant... Tennoji, t'as vu ta chemise ? soupira Kensei. Qui porte du satiné ? C'est moche et ringard !

— Arrête... Je remets juste le vieux au goût du jour !

— Mec, c'est vraiment dégueu. Surtout avec tes gros sourcils.

Tennoji fit mine de lui envoyer sa chopine à la tête. De mon côté, je fus prise d'une sensation de mal de mer. Cette intervention me faisait repenser à la chemise orange que portait l'un des yakuzas.

Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant