Octopus - Tome 5 : La Pieuvre vit deux ans

6. La chemise en liberty

[Narration : Lucie]

Tous les hommes se levèrent et se courbèrent devant celui à la peau bronzée et qui avait retiré ses lunettes de soleil. L'un d'eux tira les stores et les rideaux. Un yakuza à la chemise orange referma la porte derrière nous. S'il n'y avait eu une lampe au plafond, ce bureau aurait été plongé dans le noir.

Au fond de la pièce, trois cendriers à-demi remplis étaient disposés sur une table basse rectangulaire. Derrière celle-ci se trouvait un grand canapé dans lequel l'homme bronzé s'assit. Celui au visage de hyène s'adossa au mur près de nous. Les bras croisés, il nous observa sans chercher à s'en cacher.

« Ils vont se faire dessus ! se moqua l'homme à la chemise orange.

Le yakuza bronzé assit sur le canapé l'interpela :

— Va le chercher. »

L'intéressé acquiesça d'un mouvement de tête et s'exécuta.

Chercher qui ?

Minoru, Ryôta et moi restâmes debout en ligne au milieu de la pièce, terrifiés face aux hommes en noir. L'air était lourd et chaud.

« Ne les regarde pas et ne pose pas de questions, me glissa Minoru.

L'homme au visage de hyène lui flanqua un coup de poing dans le ventre.

— Ferme-là, toi !

Il se tourna ensuite vers moi :

— Tu sais parler japonais ?

Le sang reflua sous ma peau. L'homme me dominait de toute sa taille. Ses yeux ronds et tombants avaient une lueur sadique. 

Voilà ce que cela fait de se retrouver devant quelqu'un de vraiment grand et qui vous regarde de haut. Ne pas bafouiller. Le danger, c'est une question de sensation. Il se sent lorsqu'on l'a en face de soi.

— Réponds !

— Oui.

— Oui, monsieur ! me reprit-il.

— Oui, monsieur.

L'homme se pencha sur moi, la figure grimaçante et renfrognée, le nez rivé sur mon front. Je crus que j'allai m'évanouir.

— De quoi tu es au courant ? Quelle position tu occupes dans cette bande de merdeux ?

Trempée de sueur, je ne répondis rien, ne sachant que dire. Il y eut encore un silence et le yakuza redonna un grand coup dans l'estomac de Minoru.

— Ne m'oblige pas à reposer la question, râla-t-il à mon attention d'un air exaspéré.

Avec des difficultés pour articuler, je bafouillai que je ne savais rien, que j'étais juste une amie. Cette fois, la hyène me contourna et décocha un coup puissant dans le dos de Minoru qui se tordit en se retenant de crier.

Le yakuza revint se positionner en face de moi. Malgré leur raideur, j'eus l'impression que mes jambes allaient lâcher d'un instant à l'autre.

— J'exige de toi une réponse plus précise, insista le yakuza en humidifiant ses lèvres gercées.

Minoru afficha un affreux rictus. Mais que voulait-il de plus ?

— Elle n'est au courant de rien, s'interposa Ryôta.

Le yakuza pivota vers lui.

— J'ai du mal à vous croire. Quelqu'un qui traîne avec vous doit connaître un certain nombre de détails. Je me trompe ?

— Juste les grandes lignes, assura Ryôta.

— Les grandes lignes ?

La hyène asséna une pression sur la nuque de Minoru.